Ce billet fait partie d'une série consacrée au rôle de la sous-traitance dans l'industrie automobile, vu depuis ma lorgnette :

  1. le secteur automobile
  2. la population des "ingénieurs calcul"
  3. le statut de prestataire
  4. les besoins de flexibilité


5. Les modes de fonctionnement et leur évolution

Les sociétés de services proposent généralement à leurs clients deux solutions :

  • le travail au forfait, qui consiste à prendre en charge l'intégralité d'une étude sur le site de la SSII, dans ses locaux, avec son matériel, ses licences logicielles. Le chef de projet de la SSII assure l'interface avec le client : il récupére les données d'entrée du projet, et, en sortie, fournit les résultats demandés. Entre temps, il coordonne le travail des ingénieurs assignés à ce projet.
  • le travail en régie (c'est mon cas depuis huit ans, à une courte parenthèse de trois mois près) : les ingénieurs sont "missionnés" chez le client. Ils travaillent dans les locaux de ce dernier, utilisent ses ressources matérielles et logicielles. L'interaction avec le client peut être très directe : dans la pratique, je fonctionne exactement comme si j'étais salarié par mon client. Je prends les ordres de mon "n+1 local", et lui fournis directement les résultats demandés en retour, sans aucun intermédiaire.

Pendant de nombreuses années, la solution de la régie a eu la préférence de tout le monde, clients comme SSII. Les sociétés de services parce qu'elles n'ont pas de locaux ni de matériel à assumer (et à occuper en cas de baisse de charge), les clients parce qu'ils y gagnent en réactivité : pas d'intermédiaire pour ralentir le processus, meilleur contrôle du travail effectué par les prestataires, contact plus simple, besoin de formalisation moins marqué (un ordre oral se transmettant plus rapidement qu'une demande écrite ...).
L'interaction de l'ingénieur avec son employeur est réduite au strict minimum : un entretien annuel, et un envoi (régulier si tout va bien) de feuilles de paie :)

Dans le cas d'une activité au forfait, la SSII doit mettre en place une vraie structure de travail, formaliser une hiérarchie (éventuellement réduite au chef de projet mentionné), gérer plus activement ses ressources humaines. Ceci a un coût, répercuté sur le prix de la prestation, donc sur le client : c'est évidemment une autre des raisons qui poussent ces derniers à préférer la régie.

Selon la taille du client, de la société prestataire, et du projet à gérer, le fonctionnement peut évidemment devenir plus ou moins complexe (cf. ce billet de Krysztof), mais suit toujours une déclinaison de ces deux modes principaux.

Cependant le fonctionnement en régie présente un point faible majeur, quoique longtemps ignoré : il flirte dangereusement avec le droit du travail, et notamment avec la notion de délit de marchandage. La frontière entre le travail en régie et le délit de marchandage est subtile, voire fine. Si ça ne tenait qu'à moi je dirais même qu'elle est inexistante, et que l'écrasante majorité des clients qui accueillent des prestataires en régie sont coupables dudit délit. Mais bon, je ne suis pas la jurisprudence, ni même inspecteur du travail :)

Si l'on se fie aux exemples retenus par Wikipedia, je nage en plein dedans :
- je travaille pour un seul client depuis plusieurs années (techniquement, il serait intéressant de savoir quelle est la définition d'un client : la société dans son ensemble, un service particulier, ou seulement un interlocuteur spécifique ?)
- je reçois directement les instructions de sa part
- j'exécute la totalité de ma mission dans les locaux de mon client
- c'est lui qui me fournit ma station de travail, les logiciels, les accès aux serveurs de calcul, le bureau, le poste téléphonique ...

Le délit de marchandage interdit littéralement la "mise à disposition de personnel". Pour n'être pas répréhensible, le fonctionnement devrait théoriquement être identique à celui du forfait (mais dans les locaux du client), avec un chef de projet unique coté SSII qui fasse l'interface avec le donneur d'ordres coté client, pour une mission et sur une durée bien déterminées.
En pratique, ce n'est clairement pas comme cela que ça se passe, ni pour moi, ni pour les dizaines d'autres ingénieurs calcul que je côtoie chez mon client.

C'est en partie pour cette raison que la prestation en régie est actuellement en net recul. Les clients demandent aux SSII qui sont dans leur panel de récupérer leurs ouailles, et planchent avec elles sur la bonne manière de procéder : moyens techniques à mettre en oeuvre, possibilité d'accès à distance aux serveurs de calcul et aux licences logicielles ... (Il semblerait que la facture de ce transfert fasse reculer l'objectif initialement fixé, qui était il y a un an de ne plus avoir un prestataire sur place début 2007. Mon petit doigt me dit que pas mal d'entre nous seront toujours là en janvier ...).

L'autre raison à cette évolution se cache derrière un mot qui fait peur à tout le monde (sauf aux acheteurs :)) : l'externalisation.
Oui, faire appel à une SSII (française), c'est déjà externaliser. Mais ça coûte cher. Faire appel à une SSII étrangère, située dans ce qu'on appelle cyniquement un Low Cost Country (LCC), c'est nettement plus économique.