Ce billet fait partie d'une série consacrée au rôle de la sous-traitance dans l'industrie automobile, vu depuis ma lorgnette :
- le secteur automobile
- la population des "ingénieurs calcul"
- le statut de prestataire
- les besoins de flexibilité
5. Les modes de fonctionnement et leur évolution
Les sociétés de services proposent généralement à leurs clients deux solutions :
- le travail au forfait, qui consiste à prendre en charge l'intégralité d'une étude sur le site de la SSII, dans ses locaux, avec son matériel, ses licences logicielles. Le chef de projet de la SSII assure l'interface avec le client : il récupére les données d'entrée du projet, et, en sortie, fournit les résultats demandés. Entre temps, il coordonne le travail des ingénieurs assignés à ce projet.
- le travail en régie (c'est mon cas depuis huit ans, à une courte parenthèse de trois mois près) : les ingénieurs sont "missionnés" chez le client. Ils travaillent dans les locaux de ce dernier, utilisent ses ressources matérielles et logicielles. L'interaction avec le client peut être très directe : dans la pratique, je fonctionne exactement comme si j'étais salarié par mon client. Je prends les ordres de mon "n+1 local", et lui fournis directement les résultats demandés en retour, sans aucun intermédiaire.
Pendant de nombreuses années, la solution de la régie a eu la préférence de tout le monde, clients comme SSII. Les sociétés de services parce qu'elles n'ont pas de locaux ni de matériel à assumer (et à occuper en cas de baisse de charge), les clients parce qu'ils y gagnent en réactivité : pas d'intermédiaire pour ralentir le processus, meilleur contrôle du travail effectué par les prestataires, contact plus simple, besoin de formalisation moins marqué (un ordre oral se transmettant plus rapidement qu'une demande écrite ...).
L'interaction de l'ingénieur avec son employeur est réduite au strict minimum : un entretien annuel, et un envoi (régulier si tout va bien) de feuilles de paie :)
Dans le cas d'une activité au forfait, la SSII doit mettre en place une vraie structure de travail, formaliser une hiérarchie (éventuellement réduite au chef de projet mentionné), gérer plus activement ses ressources humaines. Ceci a un coût, répercuté sur le prix de la prestation, donc sur le client : c'est évidemment une autre des raisons qui poussent ces derniers à préférer la régie.
Selon la taille du client, de la société prestataire, et du projet à gérer, le fonctionnement peut évidemment devenir plus ou moins complexe (cf. ce billet de Krysztof), mais suit toujours une déclinaison de ces deux modes principaux.
Cependant le fonctionnement en régie présente un point faible majeur, quoique longtemps ignoré : il flirte dangereusement avec le droit du travail, et notamment avec la notion de délit de marchandage. La frontière entre le travail en régie et le délit de marchandage est subtile, voire fine. Si ça ne tenait qu'à moi je dirais même qu'elle est inexistante, et que l'écrasante majorité des clients qui accueillent des prestataires en régie sont coupables dudit délit. Mais bon, je ne suis pas la jurisprudence, ni même inspecteur du travail :)
Si l'on se fie aux exemples retenus par Wikipedia, je nage en plein dedans :
- je travaille pour un seul client depuis plusieurs années (techniquement, il serait intéressant de savoir quelle est la définition d'un client : la société dans son ensemble, un service particulier, ou seulement un interlocuteur spécifique ?)
- je reçois directement les instructions de sa part
- j'exécute la totalité de ma mission dans les locaux de mon client
- c'est lui qui me fournit ma station de travail, les logiciels, les accès aux serveurs de calcul, le bureau, le poste téléphonique ...
Le délit de marchandage interdit littéralement la "mise à disposition de personnel". Pour n'être pas répréhensible, le fonctionnement devrait théoriquement être identique à celui du forfait (mais dans les locaux du client), avec un chef de projet unique coté SSII qui fasse l'interface avec le donneur d'ordres coté client, pour une mission et sur une durée bien déterminées.
En pratique, ce n'est clairement pas comme cela que ça se passe, ni pour moi, ni pour les dizaines d'autres ingénieurs calcul que je côtoie chez mon client.
C'est en partie pour cette raison que la prestation en régie est actuellement en net recul. Les clients demandent aux SSII qui sont dans leur panel de récupérer leurs ouailles, et planchent avec elles sur la bonne manière de procéder : moyens techniques à mettre en oeuvre, possibilité d'accès à distance aux serveurs de calcul et aux licences logicielles ... (Il semblerait que la facture de ce transfert fasse reculer l'objectif initialement fixé, qui était il y a un an de ne plus avoir un prestataire sur place début 2007. Mon petit doigt me dit que pas mal d'entre nous seront toujours là en janvier ...).
L'autre raison à cette évolution se cache derrière un mot qui fait peur à tout le monde (sauf aux acheteurs :)) : l'externalisation.
Oui, faire appel à une SSII (française), c'est déjà externaliser. Mais ça coûte cher. Faire appel à une SSII étrangère, située dans ce qu'on appelle cyniquement un Low Cost Country (LCC), c'est nettement plus économique.
6 réactions
1 De Krystof von Murphy - 08/08/2006, 23:05
- J’ai connu aussi la régie pendant des années. Pratique quand on veut « réduire la voilure » sur des sujets considérés comme trop « techniques » pour que ça vaille la peine de les avoir en interne. Mais le prix est aussi facilement triple ou quadruple qu’un salarié.
E.C : en méca le ratio n'est pas celui-là (cf. le "calcul" que j'avais fait dans le 4e billet). Disons 300€/j pour un presta, contre 200 pour un salarié. Avec les formations, les congés supplémentaires, le gap se réduit à moins que ce qu'on peut penser. Mais il subsiste toujours, évidemment ...
- D’autres facteurs entrent en compte comme ne pas payer les prestataires lors des trous (par exemple lors des vacances d’été), le fait que les prestataires sont imputés sur des budgets différents des salaires « locaux », la mode de sous-traiter tout ce qui n’est pas cœur de métier à des spécialistes (mais le sont-ils vraiment ?)...
E.C : le souci, c'est qu'ils sous-traitent même ce qui est leur coeur de métier ... Et à des "spécialistes" ayant moins de deux ans d'expérience ...
- Je connais une implantation d’une grosse boîte très connue dans ma région qui « consomme » beaucoup de prestataires de toutes les SSII de ce quart de la France ; régulièrement ils embauchent leurs prestataires qui sont là depuis si longtemps qu’ils font partie des meubles ; comme quoi cela arrive... parfois.
- La délocalisation en Inde des régies, j’ai vu. On a continué à facturer 6 mois de plus pour redresser la barre :-) Et ça n’est jamais arrivé à terme, l’Inde a de sacrés handicaps qui ne se compensent que pour les gros projets qu’on peut sous-traiter en bloc, pas pour la petite maintenance quotidienne. C’est déjà assez sport quand on utilise des Français d’un centre lointain qui connaissent bien le système du client...
E.C : pour l'instant le partenaire privilégié de mon client c'est la Roumanie. L'Inde n'est pas encore au programme. Elle le sera peut-être lorsque les ingés roumains seront devenus trop chers ... (mais les indiens le seront aussi sûrement à ce moment)
2 De Eric C. - 09/08/2006, 11:49
Il va falloir que je "dé-radicalise" mon anti-spam, ton commentaire avait été blacklisté ... :)
Heureusement que j'ai encore suffisamment peu de spam pour pouvoir y jeter un coup d'oeil de temps à autre.
3 De Krysztof von Murphy - 10/08/2006, 09:37
(Fichu antispam. Qu'est-ce qui lui fait croire que je suis un spammer ? Mon pavillon de complaisance aux îles Coco ?)
:) A priori juste un mot que j'avais mis dans la liste des interdits ... Avec les deux qui sont encore passés cette nuit va falloir affiner, font vraiment chier.
Je ne sais pas combien vaut le gap entre prestataire et "local", ça dépend du milieu, de l'endroit, mais j'étais facilement deux fois plus cher au final que les collègues (mieux payés) qui me donnaient des ordres sur ma précédente mission. Ça se justifie pour des missions courtes ou pointues, ou à l'"essai", mais quand on a besoin d'une compétence technique en interne pendant des ANNEES, je ne comprends pas qu'on n'embauche pas une personne qui a fait ses preuves. Ou bien nos chefs valorisent à outrance la capacité de virer à volonté (prestataires ou intérimaires, ça évite un plan social...)
Eric : pour moi c'est la seule raison valable. Même pour ceux qu'ils comptent embaucher, ils "imposent" de plus en plus souvent des missions d'interim juste avant, parfois longues. Officiellement pour renforcer la période d'essai. Amha surtout en cas de retournement de tendance budgétaire dans les mois à venir ...
[...] ou considèrent vraiment que les gens sont des kleenex tous remplaçables les uns par des autres
Eric : aussi. Mais ça, "techniquement" parlant, c'est un gros risque qu'ils prennent. J'y reviendrai :)
[...] (et non, personne n'est irremplaçable mais il y a un juste milieu...).
Bref. Ça doit être parce qu'on ne comprend pas qu'on n'est pas chefs ;-)
Pour la Roumanie : je trouve ça plus rationnel pour des Français que l'Inde. Et oui, les Indiens sont déjà plus chers et le turn-over y est effrayant. Il y a la Chine derrière aussi... Il y a aussi, de façon plus réduite, le Maroc. Mais certains imaginent déjà que l'Afrique noire pourrait se positionner aussi sur ce créneau : proximité de langue et de fuseau horaire, besoin "juste" d'éducation et d'un réseau électrique qui marche. Je leur souhaite.
4 De Blog éclectique - 19/10/2006, 13:25
Les joies de la SSII (2) : Plein plein de chefs
Un problème récurrent pour le petit consultant de SSII est la multiplicité des chefs....
5 De EL HINDAOUI ADIL - 19/02/2007, 14:12
bonjour,
je suis tombé sur votre site par hasard et je dois dire qu'il y a bcp de chose interessante...je suis en bts et je monte un projet concernant l'industrie automobile au maroc (avec une sous partie sous traitance) pouvez vous m'aider ou m'envoyer sur des sites qui pouront m'aider ?
envoyez moi un mail si vous avez le temps jai un peu besoin d'aide
merci d'avance
adil
6 De yarelle - 17/01/2009, 20:09
slt,je suis tombée par hasard sur votre site et je suis vraiment contente, je vous félicite pour toutes ces informations que vous nous apportiez.Je voudrais si cela est possible que vous apportiez d'autres informations dans ma boite sur l'anlyse de l'evolution des relations entre constructeurs et sous-traitants dans l'industrie automobile. encore merci