Imaginons[1] qu'une grande entreprise propose, afin de réduire sa masse salariale, un plan de départ volontaire à ses salariés : "si toi bien vouloir partir, nous offrir plusieurs mois de salaire à toi". Dans un contexte économique tendu[2], on peut aisément imaginer que les premiers à prendre le risque de poser leur démission seront les plus aptes à retrouver rapidement un poste, donc ceux ayant la valeur ajoutée la plus évidente sur le marché de l'empois (tm).
Que peut-on dès lors penser à la lecture des propos du directeur général de cette entreprise, qui un an après la mise en place de ce plan, affirmerait[3] :
"On a réussi à absorber ce plan sans pertes de compétences non rattrapables."
Ah, certes, je suis chafouin, tout étudiant ayant suivi le module rhétorique 101 objectera qu'à de rarissimes exceptions près, une perte de compétence est toujours rattrapable. Il eût été intéressant que ce cadre dirigeant précisât à quel horizon : combien de temps faut-il pour ramener une équipe à un niveau d'efficacité comparable, après le départ d'un élément ? Trois mois, six mois, un an ? Le même monsieur qui prêche un peu plus loin la course à la compétitivité ("Une usine automobile qui arrête d’améliorer sa productivité ne rattrapera pas son retard") ne trouve-t-il pas ça contradictoire ?
Eh bien non monsieur P., je ne suis pas d'accord : une entreprise qui laisse partir 7000 personnes aussi rapidement, sans pouvoir préparer la relève (puisque, par définition, il faudrait pour cela embaucher des remplaçants), ne rattrapera jamais intégralement les compétences envolées.
Je ne suis d'accord ni pour pousser à ce point cette conception holistique de l'entreprise niant la plus-value apportée par chacun, ni pour en arriver à imaginer qu'elle puisse fonctionner au même niveau de performance, indépendamment du travail, de la vision, et de l'expérience de chacun de ses membres.
Mais bon, comme dirait l'autre : " Mais bon ..."
Notes
[1] C'est évidemment un exercice de pensée, toute ressemblance avec des faits réels ... bla bla bla ...
[2] C'est évidemment un exercice de pensée, toute ressemblance avec les évènements survenus depuis fin 2008 ... bla bla ...
[3] Ces propos sont évidemment imaginaires, toute ressemblance avec une interview publiée dans un grand quotidien français ne serait que pure coïncidence
15 réactions
1 De MarcDeBeaucaire - 04/03/2010, 09:05
h t t p : / / www . youtube . com / watch?v=SVXA-qKfZKw
Faut virer les espaces (là pour contourner l'interdiction de poster des liens).
2 De Eric - 04/03/2010, 09:53
He he ... Me suis posé la question de savoir si c'était bien judicieux d'écrire ce billet à ce moment précis. Assumons, kidisaient.
(Oui, SpamClear a ses humeurs, les liens peuvent passer à l'occasion, mais il faut qu'il y ait pas mal de texte à côté)
3 De Van der waals - 04/03/2010, 10:11
Pour un récit imaginaire on s'y croirait vraiment ;-)
Sinon on peut aussi se dire que les premiers à partir sont aussi ceux qui savent que de toutes façons ils vont être mis dehors (soit qu'ils sont plus mauvais (ou en tout cas pas assez bon pour le poste) et qu'on le leurs a bien fait comprendre, soit qu'ils sont proches de la retraite par exemple). A partir de là, autant partir le plus tôt pour le faire dans de meilleures conditions. (Vu que dans ce genre de cas on propose souvents des avantages dégressifs dans le temps pour mettre un peu la pression).
Maintenant il n'en reste pas moins qu'un gars qui part sans avoir eu le temps de former son remplaçant, ça fait toujours des dégats considérables. Je suis donc assez d'accord avec le reste (et c'est vrai que c'est couillu ;-)
4 De Eric - 04/03/2010, 10:46
Il y a le cas des seniors qui ont sûrement profité de la proposition pour anticiper un peu plus leur départ à la retraite. Je ne connais pas la ventilation globale du nombre de départs par tranche d'âge, et mon échantillon est assurément tronqué parce qu'il y a ou avait peu de +50a autour de moi, mais si j'en crois le constat fait par beaucoup, ils ne sont pas majoritaires.
Quant à ceux qui "savent qu'ils vont être mis dehors", c'est oublier un peu vite qu'on parle là d'un groupe qui porte encore un lourd héritage syndical :) Très clairement, tous ceux que je connais ayant profité de l'opportunité n'étaient pas menacés mais avaient, au contraire, des perspectives de "rebond" plutôt favorables malgré le contexte.
Tu dis "sans avoir eu le temps de former son remplaçant", mais des remplaçants, il n'y en a point ...
5 De BB - 04/03/2010, 12:29
Dans ton exemple imaginaire, des "vieux", il y en a eu pas mal dans certains endroits.
Ensuite, effectivement des bons sont partis, mais pas forcément les premiers. Les premiers partis (dans les 2 premiers mois) sont très souvent des gens qui avaient commencé à chercher, ou alors dans certains coins particuliers des petits jeunes qui se sont fait une ligne de CV facile (la fameuse première expérience) ou qui n'avaient que peu de contraintes (parce que prêt immobilier plus 3 minettes ça colle pas mal le cul à son siège).
Ensuite, je vais être désagréable pour les indispensables, mais globalement, il n'y en a quasiment pas dans une boite de cette taille. Il y a des gens qui sont ponctuellement indispensables, mais bizarrement une fois absent, on trouve une solution que l'on n'avait jamais cherché avant (quelques exemples flagrants autours de moi).
Il y a eu des pertes de compétences, mais au final pas si importante que cela. Et on aurait pu en perdre encore quelques unes, parce que certains coquillages pesants sont encore accrochés à leur rocher...
6 De Van der waals - 04/03/2010, 12:51
Le remplaçant n'est pas forcément un nouveau venu. Ça peut être quelqu'un déjà là à qui on accroit les responsabilités (ou la charge de travail c'est selon).
7 De Eric - 04/03/2010, 13:35
Bertrand, je ne parlais même pas des indispensables. Personne ne l'est au sens premier du terme, évidemment (ce n'est pas une PME). Mais dire qu'il n'y a pas de pertes de compétences (je ne reviens pas sur le "non rattrapables", qui n'a aucun sens), ça relève amha de la même boulette de comm' que sa sortie sur la PPG : pour le moral des troupes, sa technique elle est toute naze (c)(r)(tm)
8 De BB - 04/03/2010, 13:51
au niveau comm c'est une boulette, mais ces derniers temps, ils en font pas mal...
Et c'est d'ailleurs un des deux points qui me navrent profondément actuellement en ce qui concerne mon CEO et mon COO. Le deuxième est de supposer que nous avons une mémoire de poissons rouges, et de croire que nous n'avons pas le moindre esprit critique (ou même le moindre sens de l'observation).
Mais bon, vu que je vais me reprendre un emprunt à longue durée dans les dents et que je ne compte pas vendre mes minettes au marché, je risque d'avoir le cul soudé à ma chaise un certain temps .... :(
9 De Eric - 04/03/2010, 16:31
Bon, en tout cas, soit ma future DRH n'est pas tombée sur ce billet, soit elle est d'accord avec moi, puisque elle vient de me confirmer qu'elle m'envoyait une promesse d'embauche :)
Plop !
10 De MarcDeBeaucaire - 04/03/2010, 17:01
Je dirais même mieux:
Selosse!
11 De Krysztof von Murphy - 25/03/2010, 19:06
Quitte à me faire l'avocat du diable : il y a des coins où une "purge", indépendamment des qualités de chacun, est une bonne chose. Je connais des services informatiques qui en feraient 10 fois plus s'ils ne passaient pas leur temps à se faire des réunions entre eux. Bon, ce n'est qu'un symptôme parmi d'autres.
Après, personne n'est certes indispensable, et le renouvellement progressif est une bonne chose, mais la perte de mémoire brutale est une aberration dans la plupart des domaines. Ce n'est pas non plus la même chose si on perd une personne sur dix dans chaque service ou si un service est saigné à blanc.
Bref, ça dépend.
12 De Eric - 26/03/2010, 21:17
@Krysztof,
Avoir la choix de décider de qui purger sa société est sans doute le fantasme de tout chef d'entreprise.
Mais ici c'est tout le contraire. Comme je le disais, seuls ceux qui peuvent se permettre de partir sans grand risque tentent l'aventure. Les "mauvais" restent :)
13 De BB - 26/03/2010, 21:28
Tu sais ce qu'il te dit le mauvais ;)
14 De Eric - 26/03/2010, 22:29
Toi t'es un mauvais à qui on a proposé un poste, quand même. Alors que moi ...
15 De Krysztof von Murphy - 02/04/2010, 10:02
Effectivement, si j'étais chef d'entreprise ou même d'entreprise, je chercherais à "trier" : faire partir les vraiment mauvais (y en a, c'est impossible de les garder), garder les bons, faire progresser le marais, etc.
Mais ce sont toujours les meilleurs qui s'en vont, les prestataires qui sont sortis avant les permanents, la politique s'en mêle, ce n'est pas le chef de service qui choisit, et le problème c'est parfois le chef de service lui-même qui choisit mal... Problème insoluble dans une économie de sous-emploi.