Un rapport récent sur la restructuration de la filière vinicole française, dû à Bernard Pomel, est à l'origine de l'autorisation faite aux producteurs de vin, à partir de dans pas longtemps, d'utiliser des copeaux de chêne lors de la fabrication du vin.
Cette disposition provoque dans l'hexagone les réactions horrifiées de certains puristes qui estiment qu'il s'agit là d'une atteinte inacceptable à la spécificité du vin français, et à l'étranger des réactions amusées. On peut ainsi lire la réaction de Nicolas Ronceray, qui tient un bar à vins dans Paris (lequel ?) : "we are going to make wines like we make food at McDonald's".
Inutile de traduire je pense, même pour les non-anglophones. C'est, comme il le dit, affreux affreux affreux : "For me this is the beginning of the end".
Bref.
Pourquoi du chêne ?
Une fois que le jus de raisin (le moût, pour parler comme un vigneron, un vrai avec des mains calleuses) a fini ses fermentations, le sucre s'étant transformé en alcool pour lui donner le nom de vin, ce vin doit vieillir avant d'être mis en bouteille. Ce vieillissement, qui peut durer de presque rien pour les vins primeurs à plusieurs années pour les vins les plus ambitieux, peut se dérouler soit dans des cuves métalliques, soit dans des fûts de chêne.
Cette dernière solution est utilisée à l'origine pour une raison bien précise : le bois permet une oxygénation lente du vin, ce qui lui permet d'évoluer favorablement, d'acquérir rondeur et complexité par le biais de réactions chimiques encore mal connues.
Mais ce passage en fût de chêne présente aussi la particularité de "marquer" arômatiquement le vin, en lui communiquant des senteurs de vanille, de pain grillé, voire de torréfaction, de chocolat ... Cette caractéristique est considérée par la plupart des consommateurs comme plutôt flatteuse, sauf lorsqu'elles sont trop marquées, évidemment, auquel cas elles peuvent écraser le vin (on parle alors de "jus de planche"). Et sauf par ceux qui n'aiment pas ces arômes là, évidemment derechef, qui se recrutent bizarrement davantage chez les oenophiles éclairés. Enfin quand je dis bizarrement c'est ironique, il s'agit simplement du traditionnel intégrisme du spécialiste, dont l'opposition a une tendance est d'autant plus virulente que cette tendance a de succès auprès de la populace.
Pourquoi des copeaux ?
Un fût de chêne coûte cher (non je ne cherche pas à écrire le billet avec le plus d'accents circonflexes possible). Dans les 500 € pour un fût neuf. Un fût chez les bordelais c'est 225 litres, soit 300 bouteilles. Si l'on considère qu'un fût peut être utilisé 3 fois, le surcoût est de 500 euros pour 900 bouteilles, soit presque 50 cents (ce n'est pas par pédanterie que j'écris cents plutôt que centimes, mais par fainéantise. Même si, je dois le reconnaître, cette précision me coûte beaucoup. J'en ai marre de ces accents circonflexes, surtout sur un clavier où le ô s'obtient par Shift-F7), 50 cents, donc, par quille.
Si ce surcoût fait sourire le propriétaire d'un domaine prestigieux qui vend ses bouteilles 200 euros, il n'est par contre pas négligeable pour celui qui fait un vin destiné à être vendu moins de 5 euros ...
Un sachet de copeaux, c'est beaucoup moins cher. Donc si l'on peut donner à son vin un bon p'tit goût d'bois bien d'cheu nous, même si on doit s'asseoir sur la finalité première du fût (l'oxygénation ménagée, rappelez-vous), ben ma foi, pourquoi se priver ? C'est ce que se disent depuis longtemps les vignerons du Nouveau Monde (non, pas le film de Malick), australiens, sud-africains, américains, néo-zélandais, chiliens ... Eux le font. Nous, jusqu'à maintenant, non.
Pourquoi ce changement ?
Parce que les vins français ont de plus en plus de mal à l'export, et parce que même les vignerons français qui n'exportent pas souffrent d'une conjoncture difficile.
Au premier point une réponse évidente : ces dix ou vingt dernières années, les vins français n'ont pas régressé (au contraire), qualitativement parlant. Mais les vins étrangers ont énormément progressé, et le rééquilibrage qui a eu lieu sur les linéaires des hypermarchés du monde entier me semble tout à fait naturel.
Au second une réponse tout aussi évidente : les Français boivent moins. Sûrement mieux, mais moins. Si les vignerons stars en ont profité, comme le prouve l'explosion des prix des vins de milieu et haut de gamme ces dix dernières années, les "petits" (coopératives anonymes, terroirs peu connus, vins quelconques ...) trinquent (sic).
Que viennent faire les copeaux là-dedans ? Ils constituent une tentative de solution au premier point : puisque les étrangers nous taillent des croupières, et qu'ils utilisent des copeaux pour faire des vins boisés, c'est à cause des copeaux qu'ils nous piquent des parts de marché. Oui, c'est un sophisme, mais je force un peu le trait. Disons qu'il ne semble pas aberrant de vouloir se battre à armes égales, mais on peut légitimement se demander si les copeaux constituent la solution, ou même simplement un bout de solution, au problème de la viticulture française ...
Quels sont les risques ?
Pour la santé ? Aucun, à part les échardes qui piquent un peu la langue !
Pour le vin, au sens large ? L'utilisation de copeaux ne me parait pas faire peser de menaces gravissimes sur la filière, ni sur le consommateur. Bien sûr, l'uniformisation guette. Mais, pour les raisons déjà exposées, elle concernerait surtout les vins de bas de gamme, poussant les vignerons peu scrupuleux à maquiller leur (mauvais) jus derrière une couche de vernis boisé.
Reste évidemment la question de l'atteinte aux traditions, et d'une ouverture vers des pratiques encore moins recommandables : si on légalise aujourd'hui l'utilisation des copeaux, ne risque-t-on pas, demain, d'avoir à débattre sur le droit à l'emploi d'arômes de synthèse ?
Edit du 23 octobre 2006 : le réglement européen fixant les modalités d’utilisation des morceaux de bois de chêne dans l’élaboration des vins en Europe entrait en vigueur le 20 octobre. En attendant le vote de son Comité National, l'INAO a (temporairement ?) décidé d'interdire l'utilisation des copeaux pour les vins d'AOC (source vitisphere).
Edit du 03 septembre 2009 : lire également "Chips, nuggets et dominos" dans le n°136 de la revue In Vino Veritas.
6 réactions
1 De Krystof von Murphy - 15/04/2006, 19:21
ô = Shift-F7 ?! Quel clavier est-ce donc ?
2 De Eric - 15/04/2006, 19:57
Le qwerty de la SGI que j'utilise au boulot, que j'ai dû "mapper" pour disposer des accents ... :)
3 De isabelle Nebout - 06/05/2006, 08:50
L'article que je viens de lire est à mon avis complétement réaliste.
Je ne travaille pas le vin mais aime le boire alors que je n'en ai pas forcément les moyens si l'on doit se référer au grand cru. Boire du vin ressort de la culture de ma famille ! et je rappelle qu'il a toujours été recommandé de boire du vin pour la santé. (modérément, bien entendu).
J'ai eu l'occasion de lire l'annuaire des médecins amis des vins de France 1938. J'en conseille la lecture, d'autant plus qu'il est illustré.
Il existe un procédé de fabrication qui reviendrait moins cher et plus rapidement efficace que de mettre des copeaux de bois dans le vin, c'est la distillation du bois, uniquement du chêne français (quercus Robur) comme pour le vieillissement des eaux-de-vie ou spiritueux. Le mélange serait naturel et à moindre coût (0,3 % pour 1 hl de vin). Bien sûr, je prêche pour moi-même car je connais une personne qui détient ce savoir-faire mais qui n'a pas forcément les moyens d'acheter une distillerie. Pour le moment ! ... Le savoir-faire français est là, les premières études européennes remontent du début du XXè siècle. La fabrication doit rester traditionnelle car non seulement le boisé colore mais peut bonifier le vin s'il est bien fabriqué et bien utilisé.
On ne peut pas faire n'importe quoi sous prétexte de vouloir amasser de l'argent ! il faut donc rester prudent.
Quant à la crise économique, il faut arrêter de vouloir faire profiter aux plus gros négociants, tout le monde a besoin de vivre de son travail ! et aujourd'hui, plus qu'hier pour mieux préparer demain.
4 De Vieux Scaph' - 23/05/2006, 12:51
C'est une honte ! Une insulte à la viticulture française
Il y a 6 ans je m'arrête en camping car chez un viticulteur du gard. Un rosé excellent ! Un rouge encore mieux. Voyant mon plaisir il me dit "Je vais vous faire gouter le vin que je vends aux américains.."
Et là, horreur, ça sentait le vernis ! Il m'explique que chaque année il change ses futs et les remplace par des neufs en bois le plus vert possible !
Je lui réplique que plutot de faire de tels frais, le mieux serait pour lui de foutre des copeaux de bois dans cet ignoble mixture
Et bien on vient de me voler mon idée, j'aurais du prendre un brevet
pauvre France, on t'a pris beaucoup de choses, maintenantt on te prend tes bons vins
Le vieux Scaphandrier
5 De Krysztof - 07/06/2006, 09:45
C’est pratique ta SGI totalement atypique, tu te détaches bien dans les stats des blogs :-) « Tiens, du Irix, voilà Éric ! »
6 De moi - 21/06/2006, 12:26
je trouve que cet article resume les copeaux.
mais pour info ce n'est parce que vous mettrez des copeaux dans le vin qu'il aura un gout boise. au contraire, utilise en fermentation alcollique ils permettent de gagner en structure, volume en bouche, couleur (plus stabel) et en aromes fruites.
meme chose pour l'utilisation en elevage.
si le vin a le gout de planche c'est que les copeaux sont de mauvaise qualite ou tres mal utilise.
un oenologue parmis d'autres!!!