La lecture d'un article de David Neumark intitulé The Economic Effects of Minimum Wages (pdf) est l'occasion de se lancer dans une tentative de défrichage des tenants et aboutissants du problème suivant : quel est l'impact d'une évolution du salaire minimum sur les chiffres du chômage ? Augmenter le smic est assurément une bonne idée politique, mais est-ce pour autant une bonne idée économique ? Et, surtout, est-ce que cela aide la fraction de la population qui en a le plus besoin ?

1. L'augmentation du salaire minimum est susceptible de dissuader les employeurs d'employer des travailleurs peu qualifiés

Premier argument simple et imparable : lorsque le prix minimum d'une denrée augmente, vous faites votre possible pour en diminuer la consommation : pour faire face à l'augmentation du prix du sans-plomb, les automobilistes se déplacent moins, et s'orientent vers des véhicules plus économiques ...
Supposons que vous ayez à choisir, pour accomplir une tâche donnée, entre deux travailleurs qualifiés, payés 8 euros de l'heure, et trois travailleurs non-qualifiés, payés 5 euros. Même si leur productivité individuelle est plus faible, vous choisirez les 3 non-qualifiés, afin de gagner 1 euro (la différence entre 2 fois 8 et 3 fois 5, pour ceux qui sont vraiment fâchés avec l'airthm...l'arthi...les maths).
Si le salaire minimum passe à 6 euros, en revanche, le choix des deux travailleurs qualifiés deviendra immédiatement plus intéressant, et ce sont donc les moins qualifiés qui pâtiront de la mesure ...

2. L'augmentation du salaire minimum risque d'inciter les jeunes à arrêter plus tôt leurs études

Cette conséquence à plus long terme est susceptible d'avoir un impact sur la rémunération des travailleurs tout au long de leur vie, même s'ils ne font plus partie des populations à bas revenus.
On peut par ailleurs ajouter que l'effet souligné en 1 devrait pousser les entreprises à privilégier des activités à plus forte valeur ajoutée qui requièrent un niveau moyen de qualification plus élevé. Ceci incitera les étudiants à privilégier les filières longues, mais pénalisera ceux qui n'auront pas fait ce choix.
Une remarque souvent faite outre-Atlantique est que le salaire minimum concerne surtout les emplois occupés par des adolescents (ou "jeunes adultes", disons au sens large dans la tranche 16-24 ans). Ainsi, si davantage d'adolescents choisissent plus rapidement un emploi compte tenu de l'augmentation du salaire minimum, non seulement cela aidera les familles de ces adolescents (qui n'en ont pas forcément besoin), mais pénalisera les travailleurs (adultes) non-qualifiés qui auraient pu occuper de tels postes.
De nombreuses études convergent pour dire que l'élasticité de l'emploi par rapport au salaire minimum serait comprise entre -0.1 et -0.3. En d'autres termes, une augmentation de 10% du salaire minimum conduirait à une réduction de 1 à 3% du nombre d'emplois.

3. L'augmentation du salaire minimum, en favorisant les plus démunis, permet de relancer la demande, et donc l'emploi

C'est l'approche keynésienne du problème. Elle reçoit un soutien plutôt faible, principalement à cause de l'hypothèse sur laquelle elle s'appuie : il faut que l'augmentation favorise effectivement les plus démunis pour pouvoir observer un effet positif sur l'emploi, ce que les points 1 et 2 semblent contredire.

4. Malgré l'augmentation du salaire minimum, certains employeurs n'ont aucun intérêt à réduire leurs effectifs

Dans certains cas, le phénomène vu en 1 peut être pris en défaut. C'est une étude, datant de 93, due à Card et Krueger (pdf), qui fait référence sur ce sujet. Ils ont analysé le marché de l'emploi dans le secteur de la restauration rapide après une augmentation du salaire minimum intervenue en 1992, et se sont rendu compte que les fast-foods étaient préalablement dans une situation dite de monopsone (le symétrique d'un monopole - un acheteur unique, et de multiples vendeurs) : les salaires étaient initialement suffisamment bas pour maximiser leurs profits (et bas au point qu'une fraction de la population ne trouvait aucun intérêt à travailler pour eux, sans avoir les moyens d'aller voir ailleurs). L'augmentation du salaire minimum a poussé une partie de cette population à proposer ses services, sans que cela n'affecte exagérément le profit réalisé par les fast-foods, qui avaient en dépit de l'augmentation toujours intérêt à employer le plus de monde possible.




A lire sur le sujet :

  • "Neumark on the Minimum Wage" (Greg Mankiw, 26/10/2006)
  • "Wages And Employment Not Determined By Supply And Demand" (Robert Vienneau, 09/12/2006)
  • "La hausse du salaire minimum conduit-elle à un accroissement du chômage ?" (Stéphane Menia, sur Econoclaste)
  • "Augmenter le salaire minimum, est-ce une bonne idée?" (Alexandre Delaigue, 27/04/2007)
  • "Does Raising the Minimum Wage Increase Unemployment ?" (Freakonomics, 18/11/2011)