"Quel est le meilleur moment pour prendre un ris?
- Quand on se demande quel est le meilleur moment pour prendre un ris."
La citation, attribuable à peu près à n'importe quel amateur de voile comme le rapporte Yves le Mestric, est aimable. Comme tout aphorisme. Quand on y réflechit à deux fois, elle est pourtant contestable. Le bon moment pour prendre une décision, c'est normalement un concept, un instant, tout à fait objectivable, du moins lorsque n'interviennent que des éléments factuels, concrets, non personnels. Le meilleur moment pour prendre un ris dépend de la force du vent, de l'état de la mer, des capacités du voilier ... Le meilleur moment pour prendre un ris, en somme, c'est juste avant que le bateau ne casse :)
Le moment auquel le navigateur commence à se poser la question, en revanche, varie selon une foultitude de paramètres personnels, de son expérience, de sa sensibilité, de son optimisme, de son état de fatigue. Il est donc très peu probable que ces deux instants coïncident, et le plaisancier ne prendra en pratique jamais la décision au moment optimal. L'essentiel est qu'il la prenne à un moment "suffisamment" "satisfaisant". Pour sa santé, pour celle du bateau, et pour sa place au classement s'il est en train de régater.
La question du pilotage d'une décision par des paramètres (endogènes ou exogènes) revient (merci Matthieu) chez Pikipoki, avec son billet sur le dilemme du choix, dans la lignée de sa série sur le libre-arbitre (1, 2, 3, 4).
A lire, même si, comme tel est mon cas, on n'est pas d'accord avec ce qu'il y écrit. Un navigateur peut, même s'il pense que toutes les conditions sont remplies pour que son voilier chavire, persister à ne pas prendre de ris. Et finir à la flotte. Pikipoki répondrait sans doute que cette décision de ne rien faire est elle aussi pilotée par des éléments "compréhensibles" : par l'envie du navigateur de tester les limites de son bateau, d'aller au-delà, voire de connaitre une grosse montée d'adrénaline ... Raisons pour lesquelles cette notion de libre-arbitre, comme j'avais déjà eu l'occasion de l'écrire, me parait globalement indémerdable.
Ceci dit, même si je ne suis pas éthologue, je n'ai pas l'impression [1] qu'existent d'autres espèces animales susceptibles de prendre des décisions allant "à l'encontre du bon sens". [2]
Bref, tout cela ne conduit toujours pas à une définition formelle très satisfaisante du libre-arbitre [3], mais on a en tout cas un début de différenciation entre l'homme et l'animal qui ne me semble pas inintéressant. Le concept de libre-arbitre n'a-t-il pas, à la base, une motivation théologique visant à asseoir la "supériorité" de l'homme sur l'animal ?
Prise de décision
mercredi 7 mars 2007. Lien permanent Intello
2 réactions
1 De pikipoki - 07/03/2007, 23:49
Je ne répondrai probablement pas ce que vous indiquez. Je dirai plus volontier que si la navigateur en question connais suffisament bien son sujet pour savoir qu'un ris le sortirai d'affaire, alors les motifs qui interviennent piur influencer ses décisions m'assurent qu'il prendra un ris. S'il ne le fait pas, je ne l'attribuerai pas à la décision de ne pas prendre de ris, mais soit à sa méconnaissance de la situation et du fait qu'un ris le sauverai, soit à ds circonstances extérieures qui l'empêchent de mettre en oeuvre sa décision.
En gros, et c'est ce que j'essaie de clarifier dans mes billets, on confond ici la potentialité qui existe bel et bien d'agir contrairement à ses intérêts (je peux marcher tout droit jusqu'à la digue, tomber et couler: d'un point de vue physique cette action ne dépend que de la faculté de mes jambes à me porter) avec la faculté de vouloir une telle chose. Or il est évident qu'on ne peut vouloir quelque chose qui est contraire à nos intérêts, ou pour être plus précis, qu'on ne peut vouloir quelque chose que l'on ressent comme contraire à nos intérêts. Cette précision répondant à l'objection des comportements masochistes.
2 De yves le mestric - 22/03/2007, 12:19
Ce dicton de marin, illustre le fait que les prises de décisions où le résultat peut-être la perte totale de l'enjeux, ne sont pas les mêmes que lorsque le choix se fait entre 2 éléments distincts où seule la valeur du résultat va changer.
Un peu comme le prisonnier qui tente une roulette russe: si j'essaye je peux être libre, ou mort, sinon le résultat est connu d'avance: je reste prisonnier.
Dans le cas du navigateur, le fait le prendre un ris ou non est connus. Le fait qu'il faudra peut-être en prendre un est posé. C'est le moment de la prise de décision qui est en jeux. Le temps étant un élément, non mesurable (on ne peut revenir en arrière), les choix liés à ce paramètre repose donc sur un autre aspect.
Comme l'âne de Buridan qui est effectivement un sophisme: l'instinct pousse toujours à manger d'abord et à boire après; la prise de décision de faire une action ou d'attendre repose sur des paramètres endogènes: la peur, notamment.
Epicure disait que le plaisir est le moteur de nos décisions, le cherchant, d'instinct, et fuyant la douleur par dessus tout. Le mecanisme de peur est issu de la sélection naturelle, les intrépides qui ne fuient pas devant la menace, ne pouvent plus transmettre leurs gènes.