Rémy est un rat doté d'une sensibilité certaine pour l'art culinaire. Il rêve devant le succès de feu Auguste Gusteau (qui se prononce gousto en anglais, comme gusto en espagnol[1], "le goût"), grand chef parisien au succès planétaire, auteur du slogan universel "Anyone can cook", d'autant plus légendaire qu'il a mis fin à ses jours après avoir perdu sa troisième étoile (Gusteau rime aussi avec Loiseau). Un concours de circonstances permet à Remy de se retrouver dans les cuisines du restaurant de Gusteau, repris par un chef tyrannique. Remy ne sait pas communiquer avec les humains, mais il les comprend. En sauvant la mise d'un jeune commis de cuisine, Linguini, il s'en fait un allié fidèle qui acceptera de jouer pour lui les bras qui manquent à Rémy pour exercer son art. La scène dans laquelle Remy apprend à "commander" Linguini est d'ailleurs un grand moment d'art marionnettiste, et un grand moment comique tout court.

Il y a plein de bonnes raisons d'aller voir la dernière production de Pixar, et c'est sans doute l'acuité du regard porté sur le microcosme de la grande gastronomie qui m'a le plus plu. Du crochet décoché aux chefs s'étant compromis avec la grande distribution et les fabricants de junk food, au portrait vitriolé des connaisseurs auto-proclamés (mais snob et incultes) de grande cuisine, le film n'épargne personne. Et encore moins le monde de la critique gastronomique, puisque au-dessus des nombreux personnages secondaires du film surnage l'extraordinaire Anton Ego. Chroniqueur gastronomique redouté de tous, il fait et défait les réputations à lui seul. Porté par la voix de Peter O'Toole qui justifie à elle seule d'aller voir le film en VOst, quasi-squelettique et d'une pâleur extrême, il semble porter physiquement les traces de sa très grande exigence. Ayant depuis longtemps délaissé l'établissement de Gusteau jugé indigne de sa présence, il va accepter de remettre en cause son jugement devant les succès médiatiques de Linguini (Remy oeuvrant toujours à l'insu de tous). Et c'est évidemment une ... ratatouille[2] qui va lui faire connaitre une de ses plus grandes émotions culinaires.

Le monde gastronomique (réel) a évidemment réagi à ces portraits. François Simon, chroniqueur gastronomique de son état, reproche notamment au film sa "faconde (sic) égalitariste", sous prétexte que le credo de Gusteau selon lequel tout le monde peut devenir chef est trop souvent martelé. Or ce n'est pas ce que dit Ego à la fin du film, et ce n'est pas non plus la signification de la phrase. Tout le monde peut cuisiner, certes, mais cuisiner ne garantit aucunement le succès puisque le talent n'est pas offert à tout le monde. Remy le prouve en étant le seul rat doué de sensibilité dans le domaine. Linguini, sans Remy, serait tout à fait incapable de produire de la grande cuisine.

Moi-même, je n'imagine pas pouvoir susciter la moindre émotion chez un Anton Ego avec une ratatouille, ni d'ailleurs avec quelque plat que ce soit.
Ne reste plus qu'à deviser sur la réponse à l'interrogation : derrière le génie ne se cache-t-il que du travail ?


A part Ratatouille, avec Ocean's Thirteen, Shrek III et Die Hard IV ces dernières semaines, c'est pas le cinéma indépendant qui va devenir riche avec nous ...
M'en fous, même pas honte.

Notes

[1] et en italien aussi j'imagine

[2] "restructurée"