Quand j'étais en prépa, lorsque des gens me disaient que je devais être "bon en maths", je répondais que tout dépendait du référentiel, et que si j'avais pu avoir cette impression pendant une bonne partie du primaire voire du secondaire, il en était tout autrement une fois arrivé en sup. Je me souviendrai notamment toute ma vie de ce partiel sur les espaces vectoriels, à la rentrée des vacances de la Toussaint 1991, où j'avais été crédité d'un superbe 1/20, alors qu'un voisin d'internat, futur normalien, avait quant à lui récolté un 19.5/20.
La réponse à la question "est-on bon dans un domaine ?" n'est pas évidente ...
Dans l'absolu, on peut être tenté de se positionner par rapport à l'ensemble de la population. Quelle loi de probabilité est-elle susceptible de décrire correctement la distribution du "talent" d'une population ? Est-on "bon" dès qu'on est meilleur que 80% de la population ? 90 ? 95 ? 99 ? 99.9 ?
Si l'activité en question est pratiquée (ou l'a été, ou peut l'être) par toute la population (la cuisine, le calcul mental, la course à pied ...), il me semble nécessaire de retenir un pourcentage assez élevé.
Inversement si l'activité n'est pratiquée que par peu de monde, comment faut-il se positionner ? Par rapport aux seuls pratiquants ?
Faut-il tenir compte de celui qui pose la question ? Répond-on en fonction de ce qu'on sait, ou de ce qu'on imagine, concernant sa propre pratique de l'activité en question ? Si Lindsay Vonn me demande si je skie bien, je ne ferai certainement pas la même réponse que si c'est ma voisine de 88 ans qui me pose la question (alors que, objectivement, la réponse "devrait" être la même)
Si l'on prend l'exemple du tennis, on peut voir la pyramide des classements ici. Il y avait en 2012 360000 licenciés classés (pour 1.1 million de licenciés tout court, et des estimations qui tournent entre 3.5 et 4 millions de pratiquants). Si l'on rapporte ces chiffres aux 45 millions de pratiquants potentiels (estimation à la grosse de la population française entre 10 et 70 ans), on voit que n'importe quel joueur classé est meilleur que 99% de la population.
Si l'on se restreint à la seule population des pratiquants (par exemple si l'on fait l'hypothèse que celui qui nous pose la question est lui-même joueur de tennis, et veut savoir si vous feriez un partenaire valable), le niveau requis pour se retrouver dans le meilleur centile est évidemment tout autre. Quelques Ctrl+C/Ctrl+V plus tard mon ami Excel me dit que 38000 joueurs sont classés 15/3 ou mieux, c'est donc le niveau à partir duquel un joueur classé sera meilleur que 99% des 4 millions de pratiquants ... Ce qui est amusant, c'est que c'est aussi grosso modo le niveau à partir duquel je trouve que "ça joue bien" ...
Si l'on se tourne vers les échecs (environ 60000 licenciés en France, pour un nombre parfaitement insaisissable de "pratiquants" au moins occasionnels, et encore plus insaisissable de gens "sachant jouer"), on peut lire sur wikipedia que le qualificatif de "bon joueur" est attribué (certes à titre indicatif) à tout joueur classé au moins 1600 Elo. Or un coup d'oeil à la pyramide de la population mondiale des (env 120000) classés FIDE montre qu'avec un tel niveau on est tout en bas de ladite pyramide, moins bon que (à vue de nez) 90 voire 95% des classés ...
3 réactions
1 De Vincent - 14/05/2014, 09:16
Il y a un biais de sélection énorme sur le classement ELO que tu utilises puisque le classement FIDE n'est pas universel. Bons nombres de joueurs licenciés sont uniquement classés avec des classements nationaux : l'ELO FFE en France, l'INGO ELO en Allemagne, etc. Historiquement le classement FIDE avait un seuil minimal en-deça duquel on ne pouvait qu'être classé en classement national (seuil de 2200 en 1993, progressivement abaissé à 1200 en... 2009). Or, il faut jouer contre des classés FIDE pour obtenir soi-même un classement FIDE, la pyramide des classés FIDE se décale donc progressivement vers la gauche, mais cela prend du temps (notamment car une défaite contre un adversaire ayant plus de 300 pts de plus n'est pas comptabilisée dans les classements, retardant l'obtention "universelle" d'un ELO FIDE). Bref, le taux que tu annonces est à redresser de ce biais.
2 De Eric C. - 14/05/2014, 09:29
Yep, c'est clair que ce n'est pas le meilleur exemple, d'autant que je n'ai pas comparé (comme je l'avais fait pour le tennis) le 1600 Elo à l'ensemble des licenciés (je n'ai pas réussi à retrouver cette info, après coup). En fait c'est un peu comme si je comparais un 15/3 à la population des joueurs classés à l'ATP ... Bon, pas grave, je laisse, c'est toujours intéressant.
3 De Krysztof von Murphy - 17/05/2014, 11:57
On est bon relativement à celui qui juge. Pour mon fils je suis bon au ping-pong, n'importe qui d'autre rigolerait.
On devient très bon par la pratique, l'entraînement... Ce qui implique de se spécialiser puisqu'on ne peut tout mener. Donc on peut devenir l'Expert Ultime dans un domaine précis, très bon dans des domaines connexes ou à la base de sa spécialité, et totalement incompétent dans d'autres juste à côté.
Je suis la référence de mon agence sur un logiciel, mais je me dis parfois que c'est faute d'autres experts avec qui échanger, et par rapport à des clients aux besoins simples. Dans le domaine général de ce logiciel je me défends, mais je ne suis pas le plus pointu. Je doit apprendre d'autres softs, donc je ne m'affûte plus sur mon soft de prédilection, mais je deviens correct sur ces autres softs, et ça me donne une perspective sur tout le domaine assez profitable. À côté de ça je suis une burne dans Excel et je ne fais plus de dév "classique" ni web.
Bref, tout est relatif, et quelqu'un de "bon" a sacrifié autre chose (d'autres domaines ou sa super-spécialisation dans un sous-domaine). Si on est éclectique on est moyen. Je ne crois pas que Federer brille aux échecs ou Kasparov au tennis. Il doit y en avoir des décathloniens pour me contredire :-)