La foule est une femme ; la femme est longue à venir ; Hitler est un grand amant parce qu’il est encore plus lent qu’elle. Dès le départ, il livre des arguments, des idées, mais il donne peu. Il traîne. Il retient. Il veut créer l’envie dans la foule. Il veut qu’elle s’ouvre. Il garde ses assauts pour plus tard. Par contre, lorsqu’il s’échauffera, il sera fort, bandant, inépuisable.
En amour, on appelle ça un étalon ; en politique, un démagogue. Le secret de la réussite, c'est de ne penser qu'à la jouissance de l'autre.
Hitler commence à faire frémir la foule. Elle applaudit. Elle veut participer.
(p. 349)


Hitler avait gagné. Il était le nouveau chancelier de l'Allemagne.[...]
Il avait crié tellement fort que certains l'avaient entendu. Ils avaient voté pour lui.
Il avait crié tellement fort que certains l'avaient trouvé ridicule. Ils s'étaient laissé manoeuvrer par lui.[...]
On l'avait trouvé convaincant. On l'avait trouvé grotesque. Mais presque personne ne l'avait trouvé dangereux. Comment peut-on se montrer aussi sourd ? Hitler n'était pas un menteur. Il livrait avec franchise ses vérités obscènes. Et cela même le protégeait. Car les hommes sont habitués à juger les êtres sur leurs actes, non sur leurs paroles. Ils savent qu'entre l'intention et la réalisation, il manque un chaînon : le pouvoir d'agir. Or le pouvoir, ils venaient de le donner à Hitler. Peut-être pensaient-ils que l'exercice du gouvernement allait modérer l'extrémiste, comme il est d'usage. Qu'Hitler allait se calmer en apprenant la dure loi de la réalité ?
Ils ignoraient qu'ils n'avaient pas désigné un homme politique, mais un artiste. C'est-à-dire son exact contraire. Un artiste ne se plie pas à la réalité, il l'invente.
(p.356)

Hitler, lui n'avait pas peur de la guerre, n'avait pas peur de son peuple, et ne voulait plaire à personne. Qu'est-ce que le pouvoir absolu ? Faire peur à tout le monde et n'avoir peur de rien
(p. 389)

(La Part de l'autre, Eric-Emmanuel Schmitt)