Ce qui me semblait être une force de l'opinion publique israélienne, une caractéristique profonde de démocratie, la capacité à poser des questions, à poser les questions qui dérangent, est-elle en train de s'étioler ?

Même une semaine sanglante comme la semaine dernière au cours de laquelle 14 civils innocents ont été tués, c’est à peine si des questions ont été soulevées, et bien sûr pas les vraies questions. On a demandé d’une voix faible pourquoi il fallait lancer des missiles sur une voiture roulant au coeur de Gaza et pourquoi il fallait lancer un deuxième missile alors qu’il était clair que des civils innocents se seraient rassemblés autour du véhicule. Mais personne n’a demandé la différence qu’il y avait entre un tir de missiles au cœur d’une ville et l’attaque terroriste d’un attentat-suicide au coeur d’une autre ville.

[...]

En dépit de l’arrogance et de l’autosatisfaction qu’il manifeste, le Premier ministre, Ehoud Olmert, revient les mains vides d’une infructueuse série de visites dans diverses capitales, et il n’y a plus qu’en Israël qu’on trouve des gens pour croire que son plan de « convergence » fera avancer la paix ou la fin de l’occupation. On ne se demande pas pourquoi nous devons aller dans une direction à laquelle le monde entier, de Washington à Ramallah, s’oppose. On dit au peuple et au monde qu’Israël accordera un an aux négociations politiques et nul n’exige de savoir pourquoi diable cette tentative n’a pas déjà débuté.

Israël attend, muet et indifférent. Tout signe annonciateur de bonnes nouvelles en provenance du camp palestinien se heurte immédiatement à une nouvelle action militaire destructrice. Nous poussons le Hamas, ce qui s’appelle vraiment pousser, à retourner au cycle du terrorisme, comme l’a aussi reconnu un officier supérieur de l’armée israélienne qui a évidemment souhaité garder l’anonymat.

[...]

Il y a à Ramallah le dirigeant palestinien le plus modéré qui soit, et Israël fait plus ou moins comme s’il n’existait pas.

[...]

Sans questions, Israël s’effondre moralement. Des réfugiés africains pourrissent en prison, une compagnie d’aviation voulait ne transporter que des Juifs, et dans notre arrière-cour, tout un peuple gémit sous la botte israélienne qui se fait, d’année en année, plus cruelle et plus brutale. Et par-dessus tout cela, plane, dans toute son intensité, cette question : voulons-nous réellement la paix ? Voulons-nous réellement vivre dans un Etat juste et estimé ? Ou bien la triste vérité est-elle que l’insatiable appétit de territoires et l’envie de pouvoir nous ont aveuglés et assourdis au point que nous ne sommes plus même en mesure de poser de questions ?

(article original de Gideon Levy sur Haaretz en hébreu ou en anglais, et traduit en français par Michel Ghys)