S'il y a encore des amateurs peu expérimentés qui complexent quant à leurs capacités à analyser un vin ou un whisky, la lecture de certaines revues est un excellent moyen de se remonter le moral et de constater que des dégustateurs aguerris peuvent livrer des verdicts très différents à propos d'une même boisson, au point qu'on se demande réellement s'ils parlent bien de la même chose. J'ai plus souvent rencontré ce phénomène à propos des single malts que du vin, d'ailleurs. Quelques illustrations frappantes dans le dernier Whisky Magazine, où Dave Broom et Arthur Motley donnent leur avis sur les nouveautés qu'ils ont goûtées :

  • à propos de la finale d'un Longmorn Bourbon 1990, l'un dit "sucrée", l'autre "asséchante". Caractères pourtant peu compatibles ...
  • à propos du nez d'un Mortlach 15 ans : "l'ajout d'eau ne l'améliore pas, mais fait apparaître des notes soufrées évoquant un vestiaire de salle de gym" pour Dave, "l'ajout d'eau accentue le caractère floral, on se croirait dans un magasin de fleurs" pour Arthur. A se demander quel type de fleuriste il fréquente ...
  • à propos d'un Smokehead, l'un le trouve "séduisant et avec de la classe", l'autre "en rien subtil"

Les deux dégustateurs s'accordent totalement sur un whisky, qui fait l'unanimité contre lui (venant de chez Sullivan's Cove, en ... Tasmanie, pour ceux qui veulent éviter d'en acheter). Le commentaire d'Arthur à son sujet est un morceau d'anthologie : "l'ajout d'eau révèle quelque miasme chimique, comme un diesel de bateau. ... Comme ronger une botte de caoutchouc ... Chose crasseuse et grisâtre diffusant des arômes et saveurs aussi grossiers que rudes ..."

Sur les 14 autres whiskys évalués, en particulier concernant les arômes identifiés, il m'est impossible de dire que leurs commentaires s'accordent sur plus de 3 ou 4 d'entre eux ...
Avis à tous les dégustateurs débutants : quand un "expert" vous dit qu'il sent telle ou telle chose en mettant son nez au-dessus d'un verre, ne vous sentez pas obligés d'acquiescer. Votre nez, votre réferentiel olfactif vous est propre, et il n'y a pas de raison a priori pour que vous sentiez exactement la même chose que lui. Sans parler du snobisme qui peut le pousser à parler de "farce de pain indien peshwari naan aux amandes". Je n'invente rien, j'imagine qu'il faut être allé manger dans le même restau indien que lui pour savoir ce qu'il veut dire par là ... Mais c'est aussi ce qui fait le charme de la lecture des commentaires de dégustation, qui permettent d'"apprendre" au contact des expériences sensorielles de chacun. Et parfois, en lisant un compte-rendu, c'est l'illumination : "du pull en laine, mais oui, ce whisky sent le vieux pull en laine !"