Jack Welch a ensuite répondu aux éléments avancés par la rédaction de Fortune dans l'article dont je viens de parler.
Voici son point de vue sur :
1. la taille d'une entreprise : "c'est bien d'être gros. Etre gros ne vous condamne pas à être lent. Ca ne vous oblige pas à avoir des tonnes d'avocats".
2. son rang dans la compétition : "il n'y a pas de mal à être numéro 1. Les entreprises qui sont au troisième, quatrième ou cinquième rang n'ont pas la même flexibilité, le même niveau de ressources, ne peuvent pas faire de la R&D au même niveau".
3. sur le fait de rester lean : "j'étais favorable à la réduction du nombre d'échelons hiérarchiques. Aujourd'hui j'aplanirais encore plus les structures ..."
4. sur l'exploitation des niches : "ça n'a rien d'incompatible avec le fait d'être le leader sur son marché. Dans une grosse société vous avez intérêt à exploiter les niches. Today's niches, tomorrow's big things (ndla : je la laisse en VO parce qu'elle me plait bien comme ça )."
5. sur les clients : "quand y a-t-il eu divergence entre les actionnaires et les clients ? Personne n'a jamais dit : arnaquons ce client aujourd'hui, comme ça le prix de l'action augmentera de 20%".
6. sur l'ouverture vers l'extérieur : "tout General Electrics était tourné vers l'extérieur. Nous examinions sans cesse les autres entreprises pour en garder le meilleur".
7. sur la notation des employés : "ça a été très controversé. Dégagez les plus faibles ... Le PSG et l'OM se rencontrent ce soir (ndla : le lecteur hexagonal ne m'en voudra pas, je l'espère, de transposer la comparaison). Devinez-quoi ? Ils n'ont pas sélectionné les joueurs de division d'honneur pour être sur le terrain ... On a dit que c'était un système cruel. Pourtant ça ne l'est pas. Ce qui est cruel, c'est de ne pas dire aux gens à quel niveau ils sont".

Mon avis sur la question (qui vaut au moins autant que celui de Welch, même si je suis nettement moins bien payé pour le donner) : certaines oppositions entre l'ancienne et la nouvelle école paraissent artificiellement construites.
Aucune entreprise ne se consacre totalement à une introspection exhaustive, et aucune ne regarde que ce qui se passe à côté sans analyser ses propres erreurs. Le juste compromis entre les deux attitudes est un équilibre propre à chaque secteur, à chaque société, à chaque période temporelle, et c'est précisément le rôle d'un chef d'entreprise que de déterminer quelle énergie consacrer à chacune de ces tâches en fonction des circonstances. Lorsqu'un constructeur automobile connait des problèmes de fiabilité sur l'ensemble de sa gamme (on pourra penser à Opel au milieu des années 90), ce n'est certainement pas en innovant à tour de bras qu'il va les résoudre, mais bien en analysant de manière détaillée l'ensemble de son processus industriel et en y traquant les sources de non-qualité. Ce n'est qu'après les avoir identifiées qu'il pourra à nouveau innover, et piocher des idées dans ce que font ses concurrents. Innover, c'est modifier ses habitudes, sa manière de penser. Le faire sur des bases non saines me semble être le meilleur moyen de courir à sa perte ...

Choisir un big boss courageux ou charismatique ? Pourquoi choisir ? Un PDG digne de rémunérations à sept chiffres ne se doit-il pas d'être charismatique et courageux ? Le charisme d'un dirigeant sert à attirer la lumière des projecteurs médiatiques, mais aussi et surtout à emporter l'adhésion de ses salariés. On peut s'interroger sur ce qui définit le courage : l'article parle de prise de risques, d'innovation, de résistance à la pression immédiate de l'actionnariat. Comment ce courage là peut-il ne pas lui aussi emporter l'adhésion des employés ? Quand Free annonce l'arrivée de la fibre optique pour 2007, la bourse sanctionne le groupe Iliad (-12% avant-hier) à cause du montant de l'investissement (1 milliard d'euros), et de perspectives incertaines. Peut-on pourtant imaginer que cette décision ne motive pas ses troupes, et n'attire pas les medias ?

Choisir entre le client ou l'actionnaire ? Là aussi le trait est forcé. Mais même si l'article est caricatural, il a le mérite de pointer du doigt des tendances qui correspondent effectivement à la réalité du terrain. Réduire les coûts (pour augmenter les marges et satisfaire les actionnaires), c'est souvent prendre un risque sur la fiabilité ou la qualité (souvent, j'insiste, mais pas systématiquement). C'est donc prendre un risque de mécontenter la clientèle ... Ce risque est-il acceptable ? Un client mécontent se fera-t-il entendre et mettra-t-il en danger notre position ? Et s'il y en a dix, cent, mille ... ? Encore une fois ce n'est qu'une question d'équilibre, comme dirait Francis. Satisfaire le client, tous les clients, en termes de qualité ou de fiabilité constitue un risque énorme. Parce que la qualité totale n'existe pas, ou alors à un prix prohibitif, que seule une image de marque hors du commun peut permettre de compenser. Même Rolls-Royce a perdu son indépendance ... Tout fabricant de biens de consommation, ou de services, doit faire un compromis sur la qualité, et tendre vers le juste nécessaire. Encore faut-il être capable de définir cette notion avec précision, et y converger par le haut plutôt que par le bas ...

Concernant la taille et le rang d'une entreprise, je ne partage pas l'optimisme de Welch. Théoriquement, on peut sûrement être gros sans être lent. Dans le pratique, il me semble quand même que les gros n'ont rarement, voire jamais, la réactivité des petits. Malgré des moyens a priori supérieurs ... La faute à une structure inadaptée ? Sans doute. Mais l'"aplatissement" des hiérarchies qu'il préconise suffirait-il ?

Quant à la notation des employés, ma foi ... Ce serait une belle preuve d'hypocrisie de la part des entreprises françaises de s'indigner devant de telles pratiques. La notation est implicitement pratiquée avant l'embauche (pas l'importance accordée au diplôme, entre autres), et elle l'est également après. Officieusement. Comment réagirait un salarié français si on lui annoncait officiellement une note, un rang ? J'imagine avec amusement la scène ... :-)
La seule chose qui différencie le chef d'entreprise français de son homologue américain, ce sont seulement les plus grandes difficultés à se séparer de ceux qu'il estime être les plus mauvais ...