Ainsi donc, un fork de Wikipedia serait en gestation. C'est bien une expression de geek, ça, tiens, histoire d'être certain que le public non bit-dépendant (j'hésite ... bitodépendant ? :)) sera condamné à demander à ceux qui savent :
"- Dis papa, c'est quoi un fork ?"
"- Tais-toi, prends ta fourchette, et mange ta soupe."
Donc en anglais, langue de geek par excellence, un(e) fork c'est une fourchette. Mais c'est aussi un embranchement (une fourche ...), un "projet dérivé" : Larry Sanger, considéré comme étant le co-fondateur de Wikipedia, est en train de monter un projet parallèle, intitulé Citizendium, avec pour objectif plus ou moins avoué de gommer un des principaux défauts de Wikipedia : l'absence de "certification".
Même les utilisateurs très occasionnels de Wikipedia ne sont pas sans savoir que la publication et la modification des articles y sont libres, c'est-à-dire accessibles à tout un chacun. Il suffit de s'enregistrer, mais on peut très bien ne fournir qu'un pseudo, pour ensuite y rédiger ce qui nous passe par la tête.
On peut donc voir Wikipedia comme un jus cérébral planétaire. Le résultat est la plupart du temps bluffant, aussi bien par l'étendue des sujets couverts que par la qualité de certains articles, qui n'ont rien à envier à des encyclopédies plus traditionnelles, avec sur les versions papier un avantage incontestable : la réactivité. Alors qu'on peste toujours parce qu'on n'a sous la main qu'un dico encyclopédique datant de 1988, la consultation de Wikipedia permet quasiment de savoir ce qu'a mangé le pape Benoit XVI la veille (si une chose est sûre c'est que ces derniers jours il n'a sûrement pas mangé un clown, mais bon ... ou alors un clown très pointu sur le second degré ...). Ca n'est pas toujours passionnant, même si je ne doute pas de la qualité des cuistots du Vatican, mais ça a le mérite d'être ludique.
Bref.
Wikipedia c'est siouper (la preuve même votre serviteur y contribue), mais ça souffre évidemment des défauts de ses qualités : ce qu'on gagne en réactivité, en actualité, en "largeur", on peut légitimement s'attendre à le perdre en fiabilité (même si des études -académiques !- montrent que ce n'est pas si évident) et/ou en profondeur.
- En fiabilité parce que si même votre grande tante polonaise peut écrire ce qu'elle veut sur la recette de la tarte aux pommes, et votre petit neveu disserter librement sur les sévices qu'il faut subir à son animal de compagnie préféré, il y a légitimement de quoi s'inquiéter. En pratique, pour l'instant (à quelques exceptions -connues ...- près), cela se passe pourtant plutôt bien ; le système semble "suffisamment" stable et apte à l'auto-correction, mais ce n'est de toute façon pas le lieu pour ce genre de débats. Les profanes les plus curieux pourront aller lire ceci, par exemple.
- En profondeur parce que certains articles n'atteignent pas forcément, malgré toute la bonne volonté des rédacteurs, le niveau d'"expertise" que l'on pourrait attendre d'une encyclopédie.
Pour (tenter de) gommer ces défauts, Citizendium fait le pari du mariage de deux cultures : celle de l'open source, et celle du savoir "académique". La rédaction sera résevée aux contributeurs enregistrés (qui auront fourni nom, prénom et adresse mail valide), et encadrée par des "experts", nommés éditeurs dans le cadre du projet, dont le mode de sélection reste encore à éclaircir :
We want the wiki project to be as self-managing as possible. We do not want editors to be selected by a committee, which process is too open to abuse and politics in a radically open and global project like this one is. Instead, we will be posting a list of credentials suitable for editorship. (We have not constructed this list yet, but we will post a draft in the next few weeks. A Ph.D. will be neither necessary nor sufficient for editorship.)
Des connétables (lire "agents de police") seront enfin chargés de faire respecter l'ordre, en poursuivant les trolls, et, surtout, en ayant contrairement à ce qui se passe sur Wikipedia le moyen de les exclure :
The charter and rules will be enforced by "constables." In time, an effective and fair "legal" system will be established. It will be made up of people who are mature, well-educated, possessed of something of a legal mind, with a record free of major infractions, respected by their peers, and clearly committed to the community charter.
Constables will rapidly eject the project's inevitable, tiresome trolls, without going through a long, painful process of the sort Wikipedia suffers under--which it euphemistically calls its "arbitration" process. A fair and open system of clear rules will allow them to do.
Des règles justes et claires pour déterminer ce qui relève du troll ? Hem ... Heureusement la démocratie du système est assurée :
Decisions will, of course, be appealable.
Personne ne précise qui siégera à la cour d'appel ... :)
Pour l'instant le projet est supposé démarrer sur les bases du Wikipedia d'aujourd'hui, reprenant tels quels tous ses articles actuels (et par conséquent toutes les imprécisions qui vont avec :)). Petit à petit, Citizendium divergera et suivra son bonhomme de chemin. En tout cas, Spanger insiste sur le fait qu'il ne veut pas que son projet, qu'il ne souhaite d'ailleurs pas (encore ?) présenter comme une encyclopédie, devienne une Expertpedia.
Mes deux pennies sur le bidule :
- je ne suis pas convaincu que le fait d'avoir à fournir un nom et une adresse mail soient suffisants pour éloigner les trolls. Puisque la charte ne parle pour le moment que de déclaration sur l'honneur, et qu'il semble hors de question d'exiger des justificatifs matériels, les trolls trouveront même peut-être une motivation supplémentaire dans l'idée d'aller polluer le projet le plus "restrictif"
- intellectuellement, l'idée d'un système qui se régule naturellement plutôt que par la mise en place de pouvoirs exécutif et judiciaire me fait plutôt pencher en faveur de Wikipedia
- quitte à changer de fusil d'épaule, je crois que je serais plus réceptif à un projet qui irait encore plus loin dans la démarche, et donc uniquement réservé à des experts. Quitte à souffrir des difficultés liées à leur désignation, mais ça ne serait sans doute pas pire que le mécanisme qui régule à ce jour la publication scientifique.
Pour ceux qui veulent tout savoir sur Citizendium, ça se passe ici.
A lire également sur le sujet, un long billet chez Modern Dragons.
(Commentaire 11/2015 : 9 ans plus tard, on peut dire que la mayonnaise n'a pas pris, Citizendium n'étant quasiment jamais pris comme référence dans les discussions)
une réaction
1 De Krysztof von Murphy - 18/09/2006, 21:28
- L’obligation de fournir des coordonnées peut réduire le vandalisme d’impulsion, ou en faire réfléchir un peu certains. À voir.
E.C : inventer un nom et créer une adresse mail, ça prend combien ? 5 minutes ? Bon, c'est sûr que d'avoir à le refaire à chaque fois qu'on se fait éjecter peut finir par lasser, mais je ne sais pas si ça sera suffisant ... D'ailleurs je suis surpris que Wikipedia ne soit pas encore la victime des spammeurs ...
- Rien n’interdit que le contenu percole entre les deux encyclopédies. Vues les licenses, le contenu de l’un peut être copié-collé sur l’autre. On pourrait avoir Citizendium comme version modérée, stable et un peu datée, et Wikipédia version plus « vivante » avec ses dangers.
E.C : oui, l'idée de Sanger semble surtout être de réduire autant que possible les guerres d'édition, donc il y aura sûrement un temps de latence un peu plus important dans la mise à jour des articles (ce qui peut clairement être bénéfique). Il sera intéressant de voir si les wpistes repomperont des articles de Citizendium de temps à autre ... :)
Je doute quand même du succès - ne serait-ce qu’à cause de la part de marché cérébrale déjà acquise par Wikipédia.