Stiglitz était prof d'économie à Stanford lorsqu'il a accepté d'abandonner son rôle universitaire pour un poste de président du Council of Economic Advisers[1] du président Clinton en 1995. Il a ensuite été vice-président de la Banque Mondiale de 1997 à 2000, puis prix Nobel d'économie en 2001, mais c'est surtout sur son expérience au sein du CEA qu'il revient dans son ouvrage Quand le capitalisme perd la tête, écrit en 2003, où il tente d'expliciter les mécanismes de la formidable croissance qu'ont connu les Etats-Unis dans la décennie 90, ainsi que le rôle joué par la Federal Reserve et son directeur d'alors Alan Greenspan.

Après 16 pages (!) de remerciements, Stiglitz décortique dans le premier chapitre, intitulé "Expansion-récession : le ver dans le fruit", les mécanismes qui ont provoqué la brutale crise économique au tout début du troisième millénaire, après 10 ans de croissance euphorique : trop peu d'investissements dans les besoins publics vitaux que sont l'éducation, les infrastructures, la recherche. L'administration Clinton n'a malgré sa bonne volonté pas réussi à trouver le bon équilibre entre l'Etat et le marché. En cause ? En partie l'excès de zèle pour atteindre l'équilibre budgétaire, après des années de déficit incontrôlé sous les administrations Reegan et Bush I. La crise de 2000 s'explique aussi bien sûr par l'"exubérance irrationnelle"[2] des marchés, victimes de la bulle qu'ils avaient contribuée à créer.

Dans le deuxième chapitre, "Coup de génie ou coup de chance ?", Stiglitz revient en arrière pour nous expliquer les raisons du succès de la politique économique de Clinton dans les années 90. Elu initialement pour son slogan Putting People First, le président démocrate a changé son fusil d'épaule et visé avant tout la réduction du déficit budgétaire. Dans un pays qui sortait d'une récession (1990-1991) et qui se trouvait en 1992 dans une phase de "reprise sans emploi" (la croissance était là, quoique timide, mais le taux de chômage n'en profitait pas), une politique d'austérité budgétaire aurait dû, selon la théorie économique classique, tuer dans l'oeuf cette amorce de reprise. A la surprise du CEA, cette stratégie a fonctionné. Mais Stiglitz essaie de montrer qu'il s'agit probablement d'un concours de circonstances. Stiglitz reconnait qu'il s'est trouvé, comme tous les conseillers économiques de Clinton, "au bon endroit au bon moment"[3]. Les investissements dans la technologie de pointe avaient commencé à payer. La criminalité était en passe de chuter, pour des raisons démographiques (ndmm : cf. Freakonomics, pour ceux qui l'ont lu). Stiglitz évoque aussi une raison "historique" : à la fin des années 70, la Fed, alors présidée par Paul Volcker, avait considérablement relevé ses taux d'intérêt pour juguler l'inflation d'une économie en surchauffe (avec succès, puisque l'inflation passa de 13.5% en 1980 à 3.2% en 1983). Le système bancaire en ressortit ravagé, en particulier les caisses d'épargne spécialisées dans les prêts immobiliers (ndmm : pour plus de détails, cf. wikipedia ... ou lire le livre). Cette crise conduisit Bush I à réglementer plus durement le système bancaire. Les banques y gagnèrent des bases plus saines, mais se montrèrent plus frileuses dans les prêts qu'elles accordaient. Le flux de capitaux se tarit, et la récession de 90 débuta.
(à suivre)





Morceaux choisis :

"Les uns veulent réduire l'Etat à la portion congrue, les autres lui reconnaissent un rôle important, même s'il a ses limites, pour corriger les insuffisances du marché mais aussi faire progresser la justice sociale. Je me range parmi les seconds, et je me propose ici de prouver que les marchés, s'ils sont au coeur de notre succès économique, ne fonctionnent pas toujours correctement tout seuls"
(p.12)


"Voyant que je critique l'administration Clinton, certains vont formuler des conclusions hâtives. Si je donne l'impression de noter sévèrement l'administration, c'est en partie à l'aune des grands espoirs que nous nourrissions à notre arrivée au début de 1993, espoirs qui ont été à tant d'égards déçus. Mais je dois dire que si je suis toujours dur dans mes notes, je finis en général par les remonter. Quand je regarde ce qui a précédé l'administration Clinton, et plus encore ce qui l'a suivie, la note devient presque excellente. D'ailleurs, le but ici n'est pas de noter, mais de comprendre où nous avons échoué et réussi, pourquoi - et surtout comment un construire un avenir où la politique économique sera mieux gérée.
En réalité je suis très fier de ce que le président Clinton et son administration ont accompli.
Quiconque doute de ma position sur cette question peut commencer ce livre par l'épilogue, où je compare la période Clinton à ce qui l'a suivie."
(p.26)

Notes

[1] noté CEA dans ce billet, rien avoir avec notre commissariat à nous

[2] expression empruntée à Greenspan

[3] p.95