Tout SciGeek(tm)[1] normalement constitué regardant du sport raquetté sur le petit écran s'est forcément posé, dès l'apparition du système Hawkeye, la question de sa précision. Rapide résumé pour les dames qui ne regardent que les biceps du petit Rafael : Hawkeye, c'est le système de RAO (ralenti assisté par ordinateur) auquel les joueurs ont le droit de recourir trois fois par set s'ils ont l'impression que le juge de ligne a mal jugé une balle. La trajectoire de la balle est reconstituée, et un gros IN ou OUT s'affiche sur l'écran pour que même les spectateurs de moins de 4 ans puissent comprendre si la balle est bonne, ou faute[2].



Le dispositif est clairement utile sur surface rapide, où, la balle ne laissant pas de trace au sol, la vérification a posteriori de l'annonce du juge était jusqu'alors impossible (malgré les tentatives répétées de certains râleurs notoires, Big Mac en tête, de peser sur la décision finale de l'arbitre). Le hic, c'est que le dispositif est désormais utilisé dans tous les tournois du grand chelem, donc à Roland-Garros, donc sur terre battue. Où l'on peut cette fois confronter la trace laissée par la balle à l'annonce faite par le système Hawkeye. Je me souviens notamment d'une balle cette année, je ne sais plus dans quel match, où la balle prétendûment in avait laissé une trace manifestement franchement dehors.

L'accumulation des critiques (certaines issues des joueurs eux-mêmes, d'autres de SciGeeks trop curieux dans mon genre) a ainsi conduit à une petite polémique, initiée par deux pontes de l'université de Cardiff, dont on trouvera l'historique à cette page. En ouvrant leur .doc, je vois 64 pages, je me dis "Chic, on va enfin savoir comment fonctionne ce bordel", pas possible d'y consacrer autant d'espace sans donner de réponse. Hélas, si, c'est possible. Pour des sociologues. Car j'avais omis un point : les auteurs ne sont pas des vrais SciGeeks(tm), mais des SocSciGeeks, espèce impure à laquelle on peut décemment pas se fier pour lancer de bons gros trolls velus. Ne lisez pas les 60 pages, je vous les résume : "votre truc est tout naze, parce que ça finit par rendre un verdict qui se veut définitif, et le public ne sait pas qu'il y a une marge d'erreur, et que la décision résulte aussi d'un traitement probabiliste des données".
Bon. Bien bien.
Je me demande pourquoi ils n'ont pas suggéré à l'éditeur du logiciel d'afficher, à la place du gros IN/OUT, un message du genre "sous les hypothèses habituelles de normalité des variables aléatoires, la probabilité que la balle soit faute est de 99.72%". Mauvais public, changer public.

Revenons donc aux fondamentaux, c'est-à-dire aux questions dont on peut décemment attendre une réponse technique en moins de temps qu'il n'en faut pour rédiger une thèse.
Quand j'ai commencé à réflechir au truc (juste après avoir ouvert une bouteille de Fieuzal 98 hier soir pour accompagner les cailles aux raisins), j'ai songé traitement d'image, reconstitution de trajectoire, intégration d'un modèle physique, triangulation, filtrage, statistique, tout ça quoi. Un truc sympa, sur lequel forcément plein de gens avaient dû déjà plancher, et que j'aurais peut-être une petite chance de comprendre, voire d'expliquer.
Or le net est chiche, et les sources rares.
Il me faut donc commencer par du calcul de coin de table. Hawkeye est composé d'une dizaine de caméras haute vitesse. Une caméra haute vitesse et haute déf, aujourd'hui, ça donne quoi ? Apparemment, on peut faire du 5000 images par seconde au mégapixel. Premier calcul brutal en faisant abstraction de toute considération 3D : un court de tennis mesure un peu moins de 24m, donc si on dispose une caméra latéralement pour couvrir un quart de longueur (de la ligne de service à la ligne de fond), on dispose d'un gros millier de pixels pour 6 mètres. Soit 6 millimètres le pixel. Compte tenu de la précision annoncée par le concepteur d'Hawkeye (3.6mm d'erreur moyenne), ça fait beaucoup.
Une balle mesure entre 63 et 67mm de diamètre. 10 pixels. Pas lourd. Elle peut se déplacer à plus de 200 km/h[3], soit 60 m/s. A 5000 images par seconde elle se déplace donc de 12mm entre deux frames consécutifs, soit environ deux pixels.
Tout ceci porte à croire qu'il faut zoomer davantage pour essayer de gagner un peu en résolution, même si les illustrations du chapitre "How does it work ?" laissent penser que le logiciel travaille à partir de vues plutôt larges.

La résolution spatiale et temporelle n'est pas le seul problème qui se pose. Avant de se prononcer sur la validité d'une balle, il faut tout d'abord définir correctement ce qu'on entend par "balle faute". Au moment de l'impact au sol une balle de tennis se déforme, et sur terre battue la décision est prise en fonction de la trace laissée au sol, trace elliptique dont le petit diamètre, mesuré perpendiculairement à sa trajectoire, n'est pas égal au diamètre (non-déformé) de la balle.



Une caméra placée au-dessus de l'action, qui ne pourrait "voir" que la projection au sol du cercle approximatif que dessine la balle, pourrait très bien prétendre que celle-ci a touché la ligne, alors que la marque laissée affirmerait le contraire ...
Pourquoi "cercle approximatif" ? Il parait que le lift hénaurme du gentil Rafa fait tourner la balle à plus de 3000 tr/min, soit 50 tr/sec (je suis balèze hein, même sans calculatrice ?). Sous l'effet de la force centrifuge, celle-ci peut donc sensiblement se déformer pour prendre une forme qui, vu d'une caméra, ne serait plus circulaire. Ce qui, soit dit en passant, complique un peu la localisation de son centre de gravité ...

(Billet en cours de rédaction)



Quelques articles/thèses/videos :

Notes

[1] pour Scientific Geek, évidemment, histoire de ne pas me nous confondre avec des informaticiens

[2] et par conséquent à quelle date Rodgeur va perdre sa place de numéro un mondial, mais ne nous emballons pas

[3] tiens, là aussi, il y a de quoi en faire un billet : comment est mesurée cette vitesse ?