Etre à l'écoute de ses lecteurs, il parait que c'est la clé d'une politique éditoriale vertueuse. Parlons donc carburant :-) Le supercarburant 95-E10 est, depuis le 1er avril 2009, distribué dans certaines stations-services, répondant à l'objectif fixé lors du Grenelle de l'Environnement d'incorporer d'ici 2010 au moins 7% de biocarburants dans la consommation nationale, afin d'anticiper les directives européennes imposant un taux d'incorporation de 10% pour 2020.

Premier point : le SP95-E10 ne concerne que les moteurs essence, dans un parc automobile qui s'est massivement diesélisé ces dernières années. Sur les 50 millions de tonnes de pétrole consommées dans les transports, en 2008 la part de l'essence est descendue sous les 10 millions de tonnes (cf. le très utile dossier d'information "Les Biocarburants en France" qui vient d'être publié par l'UFIP). Le carburant actuel peut déjà contenir jusqu'à 5% d'éthanol. Rien ne dit qu'il les contient déjà effectivement, mais bon, comme Total l'affirme ("Le même que le SP95 avec 5% d'éthanol en plus"), on va faire semblant de les croire. Passer de 5 à 10%, sur la base d'une consommation actuelle de 10 millions de tonnes par an, nécessite 500 000 tonnes d'éthanol en plus.
Chaque hectare de betterave permettant d'obtenir 4 tonnes équivalent pétrole (chiffre glané, comme d'autres dans ce billet, sur le site de Jean-Marc Jancovici), ce sont 125 000ha qui devront être consacrés à la production de cet éthanol, soit 0.4% des 30 millions d'hectares de la surface agricole utile hexagonale (ref). Assurément, ce n'est pas l'introduction du E10 qui va modifier radicalement le paysage agricole français.

Concernant la consommation, le pouvoir calorifique de l'éthanol est de 21 à 23 méga-joules par litre selon les sources (1, 2), contre 32 pour le SP95. Le passage d'une proportion 95/5 à 90/10 induit une diminution du pouvoir calorifique du mélange de 31.5 à 31 MJ/l, soit 1.6%, ce qui semble cohérent avec les surconsommations annoncées (de 1.5 à 5% selon l'hostilité des auteurs ...)

A propos de la réduction des gaz à effet de serre (GES) : la combustion d'éthanol pur émet, selon les sources,entre 25 et 60% de GES en moins que la combustion du SP95 (3). Compte tenu du "taux de dilution" de l'éthanol dans le E-10, le gain effectif n'est hélas que de 3% maxi. Sur les 130 millions de tonnes de C02 émis par les transports chaque année, dont 25% peuvent grosso modo être attribués à l'essence, la diminution de GES induite par l'introduction du SP95-E10 correspondrait donc à un gain d'un petit million de tonnes de CO2.

Pour résumer, les gains envisagés sont tout à fait marginaux, grosso modo de l'ordre du pourcent. Ce qui n'est en revanche pas marginal du tout, si ce carburant se généralise effectivement comme prévu en 2010-2011, c'est l'obsolescence programmée d'une bonne partie du parc automobile. Aujourd'hui, seulement 60% du parc est annoncé comme étant compatible avec le SP95-E10. Vu les volumes de ventes depuis un an, situation qui a toutes les chances de durer jusqu'en 2010 si l'on en croit les prévisions des constructeurs, on peut imaginer que le pourcentage de véhicules compatibles n'aura pas beaucoup évolué d'ici là.
Alors, victoire du lobby des des betteraviers, ou complot des constructeurs auto pour forcer le renouvellement du parc ? Comment ça je fais du mauvais esprit ? Je peux, le site du ministère du développement durable me dit que mon Speed Triple refuserait de boire du E10. Si, d'ici deux ans, on a le choix entre un SP95-E10 un ou deux centimes moins cher mais incompatible avec son véhicule, et du SP98 dix centimes plus cher, la pilule "bio" aura un sale arrière-goût.



Quelques éléments en vrac :

1. le "bio"-carburant n'est pas un carburant bio
L'éthanol prévu pour être mélangé au SP est principalement issu de la fermentation puis de la distillation de la saccharose contenue dans la betterave sucrière, dont la culture n'a rien de spécifiquement bio, au sens "respectueux de l'environnement" du terme. Bien au contraire ...

2. En avril 2008, l'Allemagne abandonnait l'idée de recourir au SP95-E10
L'argument avancé, par un gouvernement pourtant a priori plus "vert" que le nôtre, concerne la non-compatibilité d'une partie du parc automobile, et la révision à la hausse du nombre de véhicules concernés (3.3 millions au lieu du million initialement prévu).

3. Aujourd'hui, les pétroliers français exportent 43% de leur production d'essence (cf. doc UFIP, page 5).
Introduire le bioéthanol, c'est augmenter la surproduction d'essence.


Documents utiles :
- Biocarburants en 2010 : quelle utilisation des terres en France