Le week-end dernier avait lieu l'Ultimate Rally, épreuve routière à laquelle je m'étais inscrit pour avoir le plaisir de faire l'équivalent d'un Monte-Carlo à l'ancienne, mais en moto : parcours dit "de concentration" depuis 4 villes de départ différentes selon la localisation géographique des concurrents (le Mans pour les franciliens), à effectuer de nuit, départ le jeudi soir à minuit, 560 kms de petites routes, en respectant (théoriquement) le code de la route et en essayant de tenir 60 km/h de moyenne pour rallier Marcillat en Combraille (au sud de Montluçon) à 9h30 du matin.
Vendredi après-midi, vendredi soir (de nuit encore), puis samedi, s'enchainaient trois étapes (750 kms en tout) avec 9 épreuves chronométrées, comme un rallye classique. Le motard étant doté de capacités cérébrales plus limitées que le pilote automobile, les spéciales sont courtes ; en moyenne 4 kms ...

J-6 : la moto n'est pas prête, je casse régulièrement les pieds à Jean-Pierre et à Phong pour préparer les différentes bricoles électriques, il me reste à brancher le dérouleur de roadbook, les phares additionnels, à remplacer les ampoules H4 par des xenon.
Mais les disques fonte sont montés, vendredi est le dernier jour autorisé pour les recos, et Guillaume est intéressé par l'idée de m'accompagner pour un aller-retour dans la journée, vu qu'il a des bornes à faire pour fiabiliser sa 12GS nouvellement acquise avant de partir au Maroc en juillet. Dont acte, avec une journée à 850 bornes, juste le temps de découvrir le resto du Commerce à Marcillat en compagnie de Corinne et Jean-Louis qu'on a retrouvés sur place, son patron à l'humour énigmatique, son redoutable menu à 12€50, puis de partir faire deux ou trois passages dans chaque spéciale, malheureusement sous la flotte, sauf celle du "barrage de Prat" qui sera séchante sur la fin.

J-3 : ahhh que j'adore bricoler au troisième sous-sol dans mon parking mal éclairé, de 21h à minuit, les outils étalés par terre, le dos cassé parce que je n'ai même pas pensé à descendre un petit tabouret ...

J-2 : je passe pas loin de 3 heures à finir de tout installer/brancher lors de la "pause" de midi. Relais, cosses voleuses et pince à sertir n'ont plus de secret pour moi. Contact. Bon, ça ne fait pas kssfrzzzt, cool. Codes. Ohh, les beaux xénons ! Phares. Ahhh, les additionnels s'allument automatiquement, miracle. Tiens, par contre je n'ai qu'un des deux phares principaux qui fonctionne. Bizarre. Ca aurait peut-être dû me mettre l'électron à l'oreille. Mais je suis tellement étonné et content que la moto ne prenne pas feu que je passe outre ! Démarreur, broooo, tout roule. Il est urgent de dormir, je n'aurai pas le courage de sortir le soir pour faire un roulage à la campagne. De toute façon j'aurai toute une nuit pour bien les régler et les positionner, hein ...

J-1 : combi, dorsale, bottes, gants, casque, papiers, certif médical, chéquier, tout est prêt. J'arrive à m'endormir assez facilement, étonnamment.

Jeudi 10h : on s'est donné rdv devant le bouclard d'Isidore, pas loin de la porte d'Orléans. Pratique, ça permet à Filipe de me bricoler une petite papatte pour fixer l'inter du dérouleur, qui sinon se serait retrouvé scotché au pied du rétro. Encore un peu d'hygiène sur le câblage, puis on sangle les motos sur la remorque, et il est presque midi. Un peu tard pour avoir une chance d'être au Mans à 13h comme l'aurait souhaité Seb, mais bon, les vérifs techniques ont lieu de 14h à 20h, on a de la marge.

Jeudi 14h : arrivée sur le circuit, le camion c'est pratique mais ça fait du bien quand ça s'arrête. Les bénévoles qui sont là pour assurer la partie administrative ont autant l'habitude des licences FFM que moi des spéciales moto, ça prend une bonne 1/2 heure pour remplir deux papiers, pas grave, je suis en règle et donc de bonne humeur. Pendant ce temps une averse gabarit tropical a lessivé le cerisier sous lequel on avait garé le camion, qui de blanc est passé à un pourpre décoloré baveux du plus mauvais effet. Tinquiète Alexis, on l'a récupéré depuis !
Contrôle technique, sonomètre, 88 dB à 4400 tr/min, soit carrément moins que ce qu'indique la cg. J'aurais pu monter mon pot carbone :) On pose les motos au parc fermé, et reprend le camion pour aller se poser chez Kathy, à 25 bornes de là.
Commence la séance découpage/collage du roadbook : 23 pages A4, sur deux colonnes, une quinzaine de cases par colonne, on commence à réaliser ce qui nous attend. Le petit jeu prend pas loin d'une heure, le rouleau de papier ainsi formé est énorme, ça ne rentrera jamais dans le dérouleur !
Pendant que François et Filipe sont partis faire des courses, on a le temps de faire une petite sieste. Réveil réglé à 19h, pour être de retour sur le circuit à l'heure prévue du briefing.

Jeudi 20h : on retrouve Marco, descendu directement en bécane depuis Paname. Puis on apprend que le briefing aura lieu à 21h, et non pas 20h comme annoncé (ou entendu ?) initialement. L'accès au parc fermé est autorisé pour installer les roadbooks dans le dérouleur. Cette heure de rab ne sera finalement pas de trop, l'exercice est injouable tout seul, il faut s'y mettre à deux pour garder suffisamment de tension dans le papier et arriver à faire en sorte que tout rentre dans la boîte.

21h, le briefing : "Il y aura au moins 2 CP, pour le reste on ne vous en dit pas plus"
"Normalement, le délai de mise hors course sera le même qu'en championnat de France, 1/2 heure ..."
"Les pénalités par CP raté ? Trois minutes."
Certains, lucides, font la remarque tout haut que même s'il y a trois ou quatre CP il vaut sans doute mieux se prendre 12' de pénal et être en bon état le lendemain à Marcillat, quitte à prendre l'autoroute tout le long ...

Ayant laissé les affaires chez Kathy on est obligé de refaire un a/r plus court que prévu, qui nous permet malgré tout de manger un bout et de nous allonger encore une petite demi-heure pour accumuler des forces. On remet tout le bordel dans le camion, le ciel tonne, l'orage éclate. Ca pleut, fort. Gasp. Si on se prend la drache toute la nuit ça va être l'enfer. Et si on n'a pas de bol, on peut très bien suivre la perturbation, qui va d'ouest en est, pendant tout le chemin ...

23h40 : la pression monte, je n'ai plus tellement envie d'y aller :) Mais il est trop tard, tout s'enchaine très rapidement. Vite, s'équiper, mettre veste et pantalon de pluie en plus, avec l'excitation ça donne chaud. On n'aura pas le temps de faire le plein avant l'heure de départ, tant pis, François et Filipe ont deux jerrycans pleins. Seb doit partir à 00h15, Marco à 16, et moi à 17. Merdum, j'ai oublié de régler l'horloge de la Trounf, plus à l'heure depuis le dernier débranchement de batterie. Juste avant de me présenter au CH j'essaie de faufiler ma main pleine de gants entre les ram mounts sur lesquels sont fixés les additionnels et le dérouleur pour atteindre les boutons du tableau de bord, c'est quoi déjà la combinaison de touches pour régler l'heure ? J'appuie quelques secondes sur ce que je peux, l'affichage clignote, puis d'un coup je me retrouve avec un indicateur en mph. Connauds d'anglais ! Je refais rapidos la même manip, ça revient en km/h. Ouf. Avec l'énervement, même le simple fait de ranger la feuille de route que me tend le commissaire dans le lecteur de carte devient compliqué. Heureusement il ne pleut plus, mais on sent que ça ne tombe pas très loin. On vide les jerrycans dans les réservoirs, puis on commence à tracer. Deux ou trois bornes de roulant en partant du circuit, puis on bifurque à droite, les premières gouttes tombent et on ne reverra plus un bitume propre d'ici la fin ...

00h30 : Seb ouvre, je suis, Marco est derrière. Au km 12, je vois la KTM, jusque là illuminée comme un sapin de Noel avec ses quatre xenons additionnels, passer en mode furtif, tout coupé. Ah ! Qu'est-ce ? Une feinte pour éviter un radar ? Non non, le moteur a coupé lui aussi, il n'y a plus de jus du tout. Fuck.
On est partis sans frontale (erreur), mais Marco a son portable, qui sert de loupiote pour partir à la recherche du fusible farceur, en priant pour que ce soit bien le seul problème. Des concurrents passent, certains sans s'arrêter, d'autres en demandant, quand même, s'ils peuvent être d'un quelconque secours.
On appelle le camion, pour leur demander de se dérouter si besoin. On saura plus tard qu'ils étaient plus ou moins perdus, aux prises avec un GPS farceur, mais Seb parvient à identifier le coupable (le fusible d'allumage) ce qui nous permet de repartir. Deux xénons ont claqué dans l'affaire, et les deux autres fonctionnent en mode alternatif, une bosse oui, une bosse non. Quelques bornes plus loin, afin d'éviter une redite, il décide de les couper définitivement pour ne rouler qu'en phare.

01h59 : je ne sais pas combien de temps on a perdu avec cet incident, mais j'ai l'impression qu'on roule pas mal, on a remonté du monde, il s'est arrêté de pleuvoir quasiment lorsqu'on est reparti. Je profite d'une intersection pour regarder l'heure. Puting, deux heures et on en est au km 66 seulement ! Premier coup au moral. Red Bull et adrénaline aidant, on continue malgré tout à enquiller les bornes, je passe devant de temps en temps mais Seb tient un meilleur rythme que moi en assurant la navigation, donc la plupart du temps j'opère en "contrôleur actif", toujours attentif au roadbook, le doigt sur la gachette de l'appel de phares quand il se trompe ou que j'ai un doute. Marco, derrière, se contente de suivre, son dérouleur small size l'ayant de toute façon privé de la mise en place des premières dizaines de kms.

02h30, en plein milieu de nulle part : premier CP. Bonjour, au revoir !

03h00 : je commence à sentir les premiers effets, nets, de la fatigue. Quelques bifurcations où j'élargis un peu plus que voulu, une traversée de village à la sortie duquel je me fais une virgule monumentale sur les gravillons en remettant gaz trop tôt tout en regardant le roadbook au lieu de la route, j'ai l'impression d'avoir un peu plus de mal à tenir un rythme constant. Je pompe sur l'isostar du camel bag. Le rb devient de plus en plus délirant, les chemins de terre se multiplient, heureusement qu'il n'y a pas trop de relief !

03h30 : même à 30 à l'heure on a le temps de se dire merd'merd'merd'. Un tapis de gravillons dans un gauche tout lent, je me crispe bêtement sur le guidon au lieu de laisser couler, j'élargis, le tapis devient plus épais, au lieu de tirer tout droit j'essaie de remettre un poil d'angle pour passer quand même le virage. Erreur, je croise les skis et l'avant se barre. Je remonte la moto en trois dixièmes de seconde, rhââ quel con j'avais dit que je me bourrerais pas et il aura suffi de 3 heures de route pour m'en mettre une. La moto semble ne rien avoir, merci la roulette, même si le carter gauche semble un peu griffé, et le levier d'embrayage pas tout à fait dans le même axe.
L'avantage d'une chute, c'est que ça réveille. L'inconvénient, c'est que ça rend un peu plus circonspect dès que ça glissouille, et là le revêtement est _tout le temps_ incertain.

04h00 : au bénéfice d'une intersection ratée par Seb j'ai repris le rôle d'ouvreur quand je vois sur le roadbook une case rigolote. "Passer le gué". Arf. Elle est où la prise d'air sur ma bécane déjà ? Petit chemin de terre en descente légère, une petite marche, je pose le pneu avant dans l'eau, et je m'arrête. 'tain mais y'en a pour une dizaine de mètres, et on ne voit pas du tout quelle profondeur ça fait cette connerie ! J'étais en train de me demander si j'avais 3 chances sur 5 ou plutôt 4 de me bacquer dans la flotte à mon premier essai quand j'entends un coup de klaxon derrière moi : il y a un pont de bois sur la gauche !
Merci Seb pour le coup de main pour remonter la marche en arrière, pendant que Marco va tâter, du pied, si le bois est assez costaud pour accueillir 300 kgs. Ca semble tenir, et puis bon, avec le retard pris initialement il y en a déjà un paquet qui sont passés, tous n'ont sûrement pas choisi l'option aquatique (sauf les sides, pour lesquels le pont était trop étroit ! )

05h00 : le ciel commence à s'éclaircir, on essaie de gérer au mieux les coups de pompe, Seb a dû bouffer des tonnes de carottes en préparation parce qu'il tient toujours le même rythme, devant avec son seul phare. On arrive sur le 2e CP, avec cette fois-ci un accueil qui justifie une vraie pause : brioche, café, jus d'orange. François et Filipe sont là, ils sont un peu nazes mais apparemment quand on enlève les casques on a l'air pires : )
Je reprends la moto sur 100m avec un rouleau de PQ en guise de casque pour aller me planquer derrière un sapin et régler un petit problème digestif (le stress de la veille, ou bien l'excès de Red Bull ?).
Coup d'oeil à la feuille tenue par le commissaire : il nous a pointés à 5h30, alors que le premier est passé à ... 4h20 ! Argh. On ne pense même pas à la mise hors course, persuadé qu'on était que la règle ne serait pas appliquée, mais quand même, ça fait mal. Allez, même si on apprend via la radio que Michael Jackson est mort, on va remettre du gaz quand même, en évitant les Bambi.

05h35 : juste après être repartis du CP, je me rends compte que je n'ai plus Marco dans mes rétros. Le temps d'être certain qu'il n'était pas seulement 500m à la bourre, mais bien définitivement paumé, puis d'en avertir Seb, on s'arrête de nouveau. J'en profite pour ouvrir vite fait le dérouleur, qui menaçait d'un bourrage papier. Au besoin j'aurais élagué le rb, mais il rend les armes facilement. Deux concurrents passent, ils n'ont pas vu de R1100S noire. Donc il ne sert à rien de faire demi-tour pour partir à sa recherche, puisqu'il n'est pas sur la bonne route. Cinq minutes plus tard on le voit arriver, on peut repartir.

06h30 : tiens, à basse vitesse le compteur digital de la Triumph commence à me parler en allemand, voire à ne plus rien afficher. La dernière fois qu'il m'a fait ça, j'étais en rade de batterie deux jours plus tard ...
Bon, on va dire que c'est une coïncidence, mais par prudence, comme il fait désormais suffisamment jour, je coupe les feux et ne garde que les veilleuses.

07h00 : c'est dur dur, je me méfiais du petit matin, ça se vérifie. Les deux motards de la PSR (protection sécurité rallye) qu'on venait de doubler se mettent à nous suivre, ce qui confirme mon impression que mon rythme (et mon degré d'attention) fait du yo-yo.

08h20 : on s'approche de la troisième remise à zéro du roadbook (prévue environ toutes les 2 heures pour limiter les dérives dues aux différences d'étalonnage des compteurs), km 380. Marco a un coup de barre, et moi-même je n'ai rien contre une petite pause. Marre de rouler désormais, plus de plaisir, c'est juste du mode automatique. Je vois vraiment mal comment enchainer ça avec deux boucles dans la journée, sachant qu'il nous reste encore, à ce rythme, plus de 3 heures à rouler avant d'arriver à Marcillat, ce qui fera 11h30 au mieux, pour une heure de pointage prévue de 09h43. Misère, presque 2 heures de retard ...
Je remonte sur la moto, tourne la clé, et ... rien ne se passe. Même plus assez de jus pour entrainer le démarreur sur une fraction de révolution. Pas tellement surpris, à cause des signes précurseurs, même si mon cerveau n'avait pas eu la lucidité suffisante pour laisser le moteur tourner. Presque soulagé, quelques secondes plus tard, parce que j'avais promis de m'arrêter si ça ne devenait plus raisonnable, et que ... bon ...
Une seule chose à faire, désormais : un coup d'oeil rapide à la Michelin que Seb avait emmenée me montre que je suis à 100 bornes de Marcillat au plus court, ce qui me permet d'éviter la pause essence que je ne peux me permettre : n'ayant qu'une seule clé, je ne peux pas ouvrir le réservoir sans couper le moteur ... Or pour avoir déjà essayé, je sais que le triple ne démarre pas à la poussette sur le plat, et rares sont les stations-service proposant une déclivité semblable à celle de la butte où j'ai en fin de compte eu la bonne (?) idée de tomber en rade. Il doit pas être loin de 9h, le jeu s'arrête pour moi à la case 379 du roadbook (une par kilomètre en moyenne, c'est dire l'importance de la navigation sur cette étape), je me dirige vers la nationale la plus proche et laisse Seb et Marco sur leur chemin de croix.