(Non, je n'ai pas été contrôlé en état d'ébriété ...)

Aujourd'hui, un automobiliste dispose, pour contrôler la vitesse de son véhicule, d'un tachymètre dont l'homologation requiert[1] une tolérance de 5.5 km/h[2], majorée d'une avance systématique de 1.5% qui lui permet, compte tenu des sources d'erreur possibles[3], d'être certain que la vitesse lue sur son compteur est supérieure à sa vitesse réelle. En cas d'excès, sa vitesse est mesurée par les forces de l'ordre à l'aide de cinémomètres étalonnés, et sous-évaluée d'une certaine marge de tolérance, relative ou absolue.

Pour contrôler son degré d'alcoolémie, il ne dispose que d'alcootests gonflables dont la précision (de même que la tenue dans le temps, s'ils sont oubliés deux ans au fond d'une boite à gants), quoique réputée bonne, est inconnue, ou d'éthylomètres électroniques dont le prix est directement proportionnel à la précision. Les appareils de classe 1 utilisés par les forces de l'ordre coûtent environ 1 millier d'euros. Les appareils de classe 2 agréés par le Laboratoire National d'Essais valent une centaine d'euros. La précision pour un appareil de classe 1 est de l'ordre de 0.01 mg/l d'air expiré, soit 4% de la limite légale[4]. En classe 2 on passe à une précision de 0.03mg/l, soit 12% de la limite légale. Chiffre à comparer à la tolérance exigée pour un tachymètre, qui correspondent à 130 km/h à une "précision relative" de 4% ... De surcroit, si un contrôle (quasi) continu de sa vitesse est possible, il est en revanche impossible de connaitre son alcoolémie en temps réel. Si le conducteur consciencieux, ayant un peu bu, peut se tester avant de démarrer, il lui est en revanche impossible de savoir si son taux d'alcoolémie à un instant donné de son roulage, a, ou non, dépassé la limite légale.
Il est généralement entendu que le taux d'alcool peut évoluer à la hausse 1/2 heure[5] après la dernière absorption. Je ne sais pas quelle en est la réalité physiologique, mais j'imagine aisément que ce délai est variable d'un individu à l'autre, selon l'état de forme, la quantité de nourriture solide ayant accompagné l'alcool, ou encore la rapidité de consommation. L'incertitude est également grande sur la variation possible durant ce laps de temps.
Il est donc impossible de connaitre avec précision son taux d'alcoolémie et de déterminer si l'on est susceptible, en cas de contrôle, d'être positif.

Pour résumer on a donc d'un côté des contrôles de vitesse où le conducteur :
- peut connaitre en permanence sa vitesse avec une précision élevée
- dispose de moyens de régulation ou de limitation de sa vitesse
- bénéficie d'une tolérance une fois la mesure effectuée
...

et d'un autre côté des contrôles d'alcoolémie pour lesquels le conducteur :
- ne peut contrôler avec une précision raisonnable son propre taux d'alcool
- ne peut se contrôler "en continu"
- ne bénéficie d'aucune tolérance une fois la mesure effectuée


Pourtant ces infractions engendrent toutes deux, selon l'importance de l'excès, retrait de points ou suspension de permis. A la réflexion ça me laisse perplexe. Immanquablement, les apôtres de l'hygiénisme argumenteront qu'il est toujours possible de prendre le volant à la seule condition de n'avoir rien bu. Mais si le législateur a fixé un seuil, non nul, c'est sans doute qu'il estime que le conducteur n'ayant consommé que deux verres n'est pas plus dangereux qu'un allergique sous antihistaminique, un angoissé sous Tranxène, ou un fumeur de substances illicites après sa demi-barrette de Cannabis kafiristanica.

Je me demande si cette loi n'est pas une des seules, tolérant une pratique mais en limitant les excès, vis-à-vis desquelles le justiciable ne dispose pas de moyens "raisonnables" pour savoir s'il est en infraction au moment d'un contrôle.
Vite, un juriste.

Ce billet a été écrit sous l'influence d'un verre (ok, deux)(bon, trois mais je prends pas le volant[6]) de Petite Sirah 2005 des californiens de McManis.



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Notes

[1] réglement ECE/39, directive 75/443/CE

[2] sur deux mesures effectuées à 80 et 120 km/h

[3] différences potentielles de circonférence de pneu, en fonction des différentes dimensions homologuées, influence de la pression, de l'usure ...

[4] qui est de 0.25 mg/l d'air expiré, soit 0.5g par litre de sang

[5] certes, la loi et la jurisprudence en tiennent compte, mais sans grande nuance

[6] je vous jure m'sieu l'agent c'est vrai j'ai un témoin, je garde ma fille pendant que madame est partie se saoûler sur la voie publique festoyer sobrement et dignement avec des collègues de boulot