"Alors que les ressources naturelles regagnent de la valeur dans les calculs économiques, l'homme, devenu en quelque sorte moins rare que la nature à l'échelle mondiale, voit la sienne s'effriter par le jeu de l'offre et de la demande. Comme au XIXe siècle dans certaines régions industrielles d'Europe, la valeur d'usage de l'homme avoisine zéro dans certaines parties de la planète, et un nombre croissant de nos concitoyens voient leurs revenus chuter en-dessous du niveau de subsistance. Nous voici entrés dans l'ère de "l'homme jetable", qui porte en germe une question sociale globale.

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Une étude récente de l'économiste Patrick Artus montre que l'économie mondiale est économe en travail, alors que le travail est abondant, mais qu'elle est fortement consommatrice de certaines ressources naturelles pourtant rares et non-renouvelables.

Ce paradoxe s'explique facilement : l'économie, science de la rareté, a négligé la valeur du capital naturel tant que celui-ci était considéré comme infini, si bien que le consommateur ne paie aujourd'hui que le prix de l'extraction des ressources (eau, énergies, minerais), et non leur valeur intrinsèque - ni, d'ailleurs les coûts sociaux liés à leur utilisation (émissions de CO2, pollution des cours d'eau...). Inversement, l'économie enseignant de taxer l'usage des denrées rares pour épargner leur consommation, nos politiques économiques n'ont cessé de taxer chaque année davantage le travail, essentiellement par le biais des charges sur les salaires. Ce choix était cohérent avec une situation de relative pénurie de main d'œuvre et de disponibilité de la nature. Mais celle-ci est révolue."

Réinverser les raretés : pour une double révolution fiscale (LeMonde.fr, 04/02/2012)