Un article intéressant sur telerama.fr (12/10/2013), qui fait un tour d'horizon des particularités de la gastrosphère des années 2010

"On n'a jamais autant regardé le fond de nos assiettes. Blogs, émissions de télé, photos par millions sur les réseaux sociaux, c'est une profusion digne du garde-manger de Top chef... A la fois hyper médiatisée et désacralisée, dépoussiérée et démocratisée, la gastronomie est à la mode. Conviée dans les festivals de rock et même dans les musées. Les chefs, érigés au rang de créateurs, ont quitté l'ombre graisseuse des fourneaux pour les feux de la rampe. Et le public des mangeurs éclairés et/ou branchés s'élargit toujours davantage."

La gastronomie est plus dynamique, voire éphémère :

"Comme le met brillamment en lumière Bénédict Beaugé dans un tranchant essai, Plats du jour, « cet univers qui, pendant longtemps, a cultivé une image pondérée, voire conservatrice, semble tout à coup pris d'un irrépressible besoin de nouveauté et d'innovation ». Hier, les siphons de la cuisine moléculaire. Aujourd'hui, les herbes sauvages et les légumes-racines. "

Les chefs sont mis en scène :

La scène se passe au printemps 2013, à la Mutualité. Dans la salle mythique du Quartier latin qui vibra des concerts de Léo Ferré et des congrès de la gauche française, c'est un autre Marx qui fait rêver les foules. Thierry Marx, le bonze à crâne chauve et baguettes, ténor de la gastronomie moléculaire, est venu pour un récital public au piano de cuisson. Pectine de pamplemousse, huître et jasmin, un cours d'(al)chimie retransmis sur écran géant.

« Rock star ? Non ! se défend la vedette du moment, le Danois René Redzepi, à la tête du Noma, à Copenhague. Vous ne pouvez pas faire un tube avec du jambon, il n'y a pas de musique qui sort d'une asperge ! » N'empêche, une nouvelle génération de cuisiniers aussi décontractés que connectés et médiatisés tend, par son style et ses codes, à se rapprocher davantage des extravagances de la scène pop que de l'artisanat en blouse à cocarde des meilleurs ouvriers de France.

Chefs comme clients aspirent à davantage de proximité :

« Les jeunes chefs n'ont plus envie de rester au fond de leur cuisine. Et les clients ont envie de voir ce qui s'y passe. » Nombreux sont les restaurants gagnés par la mode de la cuisine ouverte ou semi-ouverte. Le jeune chef brestois ­Romain Pouzadoux a franchi le pas au printemps dernier : « Il faut mettre un peu en scène la cuisine, c'est devenu un métier qui séduit. En même temps, on est à une époque où les gens ont besoin de savoir ce qu'ils mangent. Ouvrir la cuisine, c'est une manière de leur dire : "Regardez, on n'a rien à cacher, on fait tout nous-mêmes", c'est un peu comme un label. » Même son de cloche chez Bertrand Grébaut, qui dresse ses assiettes face aux clients : « La cuisine ouverte valorise un boulot que l'on cachait autrefois. C'est plaisant pour les gens parce que ça produit une animation dans le fond de la salle, on voit ce qui se prépare, ça réchauffe une atmosphère.

Les chefs, autrefois piètres communiquants (involontairement ou non), font désormais partie intégrante des réseaux sociaux :

« Il y a vingt ans, partager les recettes entre chefs, c'était hors de question ! sourit Romain Pouzadoux. Avec les réseaux sociaux, il y a un travail d'éponge, de synthèse qui est intéressant. Quand on est un peu loin de tout, comme ici à Brest, ça permet de se tenir au courant, et aussi de se faire connaître. » D'exister auprès du public, hors de la reconnaissance de la critique gastronomique traditionnelle.

Les modes culinaires évoluent presque à la manière de mèmes, de façon quasi-virale :

« C'est ainsi, s'amuse Beaugé, que la planète tout entière s'est mise succes­sivement aux espumas, aux gelées chaudes, aux verrines, aux fleurs des champs, et depuis peu, au cru, voire au vivant. »

Aujourd'hui c'est le terroir, le naturel qui est remis en avant :

Après le scientisme des expérimentations moléculaires, le naturel revient au galop. S'installe peu à peu une tendance végétale, saisonnière et locavore, inspirée par les herbes sauvages et les légumes d'antan. Un courant qui s'inscrit dans le sillage de la gastronomie scandinave dite « supernaturelle », entraînée par le Danois René Redzepi, qui travaille lichens, baies sauvages, terre, peau de lait, et donne à croquer des crevettes vivantes. Cette philosophie du retour au terroir et aux (légumes) racines est portée par une génération de chefs qui se découvrent l'esprit vert, valorisent les circuits courts et mettent en avant la relation de proximité avec leurs producteurs.

... au point que ça tourne trop souvent au name dropping :

On ne compte plus les menus émaillés de « beurre Bordier » ou « légumes de Joël Thiébault » , mode de traçabilité parfois agaçante.

Le chemin du producteur au consommateur a été réduit à l'essentiel :

Certains cuisiniers se font même jardiniers — dans la lignée d'Alain Passard, qui troqua il y a dix ans la rôtissoire contre la sublimation du végétal, jusqu'à produire ses propres légumes. A Menton, Mauro Colagreco (Le Mirazur) cultive potager, jardin d'herbes et d'agrumes ; à Arles, Arman Arnal (La Chassagnette) est à la tête de deux hectares en bio. D'autres, prenant le chemin buissonnier de Michel Bras ou de Marc Veyrat, s'en vont cueillir les fleurs des champs, exhument dans l'assiette ail des ours ou pimprenelle. A Clermont-Ferrand, Xavier Beaudiment, chef du bien nommé Le Pré, nourrit son inspiration en ramassant des plantes sauvages. Trois cent cinquante espèces qui transforment ses plats en herbiers savoureux, bourgeons d'épicéa dans une glace, reine des prés avec du foie gras.

Les menus se "saisonnalisent" pas conséquent de plus en plus :

Collant au rythme des saisons, les cuisiniers sont de plus en plus nombreux à proposer un menu unique improvisé selon l'arrivage du jour.

... ce qui limite souvent le choix offert au client :

C'est d'ailleurs une des nouvelles règles du jeu culinaire pour le client : accepter de ne plus choisir, aller dîner presque les yeux fermés en faisant confiance au chef. Qui compose avec l'inspiration et les produits du moment. Ne craint plus de faire l'impasse sur les produits nobles pour revisiter abats ou choux de Bruxelles.

Cuisine, restos : qu'est-ce que nous mijote l'époque ? (telerama.fr, 12/10/2013)