Un peu de junk science pour se changer les idées, avec cet indice qui mesure le ratio de longueur entre l'index et l'annulaire, et qui serait corrélé entre autres à "l'exposition du fœtus à la testostérone". Une illustration supplémentaire de l'importance de ne pas confondre corrélation et causalité, en tout cas ...

Que disent nos doigts de notre personnalité? (06/2019)

Dans les années 1870, un anatomiste allemand rapporte en effet une première fois la différence de proportion entre les sexes. Sous-exploitée pendant plus d'un siècle, cette donnée est reprise en 1998 par le biologiste britannique John Manning, qui travaille alors dans un centre de fertilité à Liverpool. En mesurant le ratio des doigts de ses patients, John Manning se rend compte que les ratios les plus faibles chez les hommes correspondent à de plus hauts niveaux de testostérone. Son équipe de scientifiques réalise par la suite que la différence de ratio entre les sexes existe dès l'âge de deux ans. Ce qui les amène à postuler que la différence s'est créée avant la naissance, dans le ventre de la mère. Le « 2D : 4D ratio », selon Manning, est le reflet des niveaux de testostérone et d'œstrogène durant le développement prénatal.

Les dérives sont faciles à anticiper :

Cela pourrait paraître anecdotique. Mais il faut se rappeler que, depuis les années 1950, des scientifiques ont émis l'idée que ces hormones conduiraient le développement du cerveau avant la naissance. Et qu'elles façonneraient donc… le comportement de l'adulte à venir ! Des études tissent par exemple des liens entre l'exposition du fœtus à ces hormones et des caractéristiques comme l'agressivité, l'orientation sexuelle ou encore le risque d'autisme ou d'addiction.

C'est ainsi que des chercheurs ont tenté, dans les années 2000, d'établir un lien entre le ratio des doigts et l'homosexualité chez les femmes. D'autres études ont découvert une corrélation entre le même ratio et les performances sportives, qu'il s'agisse de football, de course à pied, de ski ou d'aviron. Ce qui pousse John Manning à affirmer que les équipes devraient aller jusqu'à utiliser ce critère dans la sélection de leurs joueurs

Montre-moi tes deux doigts, et je te dirai si tu es attractif (Le Temps, 2015)

Une scientifique de l’Université de Genève, qui publie ce mercredi ses travaux dans les Proceedings of the Royal Society B, affirme que la longueur de l’index et de l’annulaire d’un individu peut servir à déterminer l’attractivité de son visage, mais pas de sa voix ou de son odeur.(...)
Cet axe de recherches n’est pas nouveau. Dès la fin du XIXe siècle, les hommes de sciences ont établi des statistiques sur la longueur des doigts, en tentant de trouver des explications aux écarts observés. Mais c’est en 1998 que le domaine explose: le psychologue John Manning, aujourd’hui à l’Université anglaise de Swansea, publie une hypothèse puis, en 2002, un livre intitulé «Digit ratio: a pointer to fertility, behavior and health» (trad. Ratio des doigts: indice de fertilité, du comportement et de santé). Sa thèse? Le rapport entre la longueur de l’index (2e doigt, ou 2D) et l’annulaire (4D) permet d’en dire beaucoup sur une personne. En effet, durant la grossesse, le fœtus est exposé à plus ou moins de testostérone, hormone qui détermine la longueur des doigts, mais possiblement aussi une foule d’autres traits.(...)
Depuis, le nombre d’études sur le sujet explose, qui tentent d’associer la valeur de ce rapport 2D : 4D à tel ou tel aspect de caractère ou héritage physique. Ce chiffre a ainsi été utilisé pour expliquer – en vrac – l’aptitude d’une personne à performer en aviron, son intelligence lors de placements en bourse, ses capacités sexuelles, son risque de souffrir d’autisme ou d’un cancer (prostate, œsophage), voire ses dispositions à réussir des études. Bref, montrez vos doigts, et l’on vous dira tout de votre vie!

L'essentiel est dit dans les lignes suivantes :

Denis Duboule, directeur du Pôle de recherche national Frontiers in Genetics et spécialiste des gènes de croissance des fœtus, se montre très dubitatif: «Tous les résultats liés à ce ratio 2D : 4D sont controversés. Certes, après quelques semaines de développement, le fœtus est soumis à un pic de testostérone, qui sert à déterminer son sexe. Il se trouve que c’est à ce moment aussi que poussent les doigts. Un lien est donc possible, même s’il reste encore à établir formellement. Mais lier ce taux de testostérone à d’autres traits, comme la voix, voire le visage, qui prennent leur forme définitive à l’âge adulte, est absurde.» Et de résumer: «Il n’existe dans la littérature aucun article qui permette de considérer indubitablement l’une ou l’autre de ces assertions comme plausibles. Il s’agit d’inférences, de corrélations postulées, mais aucun lien de cause à effet entre le taux de testostérone durant la gestation (et donc peut-être le rapport 2D : 4D) et les innombrables traits humains décrits n’a pu être démontré. Ce genre de thèses est toutefois à la mode, car elles permettent de faire la une des médias.»

Un avis qu’avait déjà émis en 2009 Martin Voracek. Ce psychologue de l’Université de Vienne a passé au crible les quelque 400 publications mentionnant ce rapport 2D : 4D. «La plupart des études publiées n’ont pas pu être répliquées», confiait-il à la NZZ am Sontag. Tout au plus relevait-il que deux secteurs pouvaient fournir des résultats plus ou moins cohérents, en relation avec le taux de testostérone: ceux concernant les troubles psychiatriques (autisme, schizophrénie) et les capacités athlétiques.

A lire également, ce billet pointu sur le blog allodoxia : Un indice fiable de quoi ? (2018)