(Billet précédent : Bilan environnemental des véhicules électriques - 1e partie )

2e partie : la pollution "hors CO2" liée à l'utilisation

La pollution émise par un véhicule sur son trajet peut prendre trois formes

  1. gazeuse (pour un moteur ICE), sous forme de monoxyde de carbone (CO), d'oxydes d'azote (NOx), d'hydrocarbures imbrûlés (HC) ...
  2. sonore
  3. solide, notamment sous forme de particules

Dans ce rapport rédigé pour le Sénat en 2001, on constate que la pollution liée au trafic routier avait commencé une décrue depuis les années 1980-1990, décrue qui s'est poursuivie depuis sous l'effet de la sévérisation des normes anti-pollution.

2001_polluants_primaires_transport.png

Dans le graphique ci-dessous (source airparif), on voit les estimations suivantes pour l'Ile de France en 2012 : le trafic routier serait responsable de 56% des émissions de NOx, de 28% des PM10 et de 35% des PM25 (particules de diamètre inférieur à 10 et 2.5 microns respectivement)

2012_contribution_secteurs_pollution.png




La pollution gazeuse

Dans le cas d'un VE, on en a parlé dans le billet précédent : la forme gazeuse "disparait" du lieu d'utilisation, et se déplace éventuellement vers le lieu de production d'électricité selon le type de centrale utilisée.

Pour les véhicules thermiques, l'essentiel du problème vient aujourd'hui des oxydes d'azote (NOx) et des hydrocarbures imbrulés (HC), qui sont souvent comptabilités ensemble. Le CO n'est plus considéré comme un problème aujourd'hui en milieu extérieur[1], la quantité de CO émis par les transports ayant considérablement diminué en 20 ans, avec une baisse de plus de 60% à proximité du trafic routier notamment grâce aux pots catalytiques (source).

J'avais écrit il y a presque 15 ans une page un peu détaillée sur les émissions polluantes, elle est lisible ici pour quelques compléments d'information, mais certains ordres de grandeur ne sont plus forcément les bons. La page wikipedia Normes européennes d'émissions (à jour, elle) montre par exemple que la quantité de NOx émis par les moteurs diesel (un de leurs points faibles) a été divisée par plus de 6 en 15 ans entre la norme Euro 3 de 2000 et la norme Euro 6.

La question de la représentativité des cycles d'homologation utilisés s'est bien sûr posée ces dernières années, aussi bien pour la consommation de carburant que pour la mesure des polluants. Le Dieselgate déclenché par Volkswagen n'y est pas étranger. Aujourd'hui, l'écart entre les mesures officielles et les conditions réelles a sensiblement diminué, comme le montre entre autres cette étude récente de l'IFPEN, publiée en décembre 2020. Le pdf complet est disponible ici, et on peut en lire un résumé abondamment commenté ici. J'y consacrerai sans doute un billet dédié, car ce n'est pas le sujet de cette série ...

On a vu plus haut que d'après les données airparif de 2012 en IdF, le transport routier était responsable de 56% des NOx. D'après cette page du site gouvernemental sur le développement durable, "les émissions de NOx, principalement issues du secteur des transports, ont baissé de 49 % depuis 2000" (elle semble avoir été rédigée en 2016). En supposant que la baisse est régulière et a continué sur le même rythme, on peut donc estimer en 2020 une réduction de 25% par rapport à 2012[2].
Si on réduit de 25% la part du transport routier qui représentait initialement 56% du total, la part résultante (estimation pour 2020) ne diminue qu'à 49%

En résumé, une électrification complète du parc permettrait de supprimer la contribution du transport routier aux oxydes d'azote émis en agglomération, et donc de réduire leur teneur atmosphérique d'un facteur 2 par rapport aux chiffres actuels. Mais la généralisation des véhicules Euro 6, la réduction progressive de la part des moteurs diesel et la multiplication des véhicules hybrides devraient déjà conduire dans les 5 voire 10 ans à venir à une réduction considérable des NOx émis par les véhicules particuliers.




La pollution sonore

La réduction de pollution sonore est assez difficile à évaluer, aussi bien quantitativement que qualitativement. L'avantage sonore des VE est restreint à une plage de vitesse basse (moins de 50 km/h). Au-delà, les bruits de roulement et aérodynamique prennent le dessus. La diminution du bruit en milieu urbain liée à l'électrification du parc sera réelle, mais délicate à quantifier notamment du fait de la non-linéarité de l'addition des sources sonores.

Un projet européen dénommé FOREVER (Future OpeRational impacts of Electric Vehicles on national European Roads) a démarré en 2013. Un rapport contenant des premiers résultats avait été déposé sur HAL en 2014 (lien). Un "Final technical summary report" en 22 pages est disponible depuis 2019, de même que le livrable complet en 135 pages. On peut trouver sous un format un peu plus tous publics quelques slides présentés à l'IFSTTAR en 2015 par certains des auteurs dont Marie-Agnès Pallas et Michel Berengier. Je reprends ici deux des principales conclusions :

  • Au delà de 40 km/h, la réduction de bruit émis par les voitures électriques (et hybrides en mode électrique) n'excède pas 1-1.5 dB, et les pneumatiques spécifiques ou sélectionnés pour ces véhicules ne sont pas globalement moins bruyants que les pneus conventionnels.
  • En dépit de faibles changements sur le niveau total, la suppression de composantes fréquentielles pourait améliorer la réponse subjective au bruit de transport.

On voit dans le graphique suivant, extrait du rapport résumé, que le bruit total (il faut regarder les deux courbes en trait plein) d'un EV se rapproche sensiblement d'un moteur ICE dès 50 km/h :

2019_FOREVER_noise_ICE_vs_EV.png

Si la généralisation des limitations à 30 km/h en agglomération se confirme dans les années à venir, cela aura tendance à accroître la plus-value apportée par les VE :)




La pollution solide

Les particules peuvent être émises par :

  • la combustion pour un moteur ICE
  • l'usure du système de freinage (plaquettes et disques) et des pneus
  • l'abrasion des routes

Comme rappelé en introduction, ce sont les particules micrométriques (PM10 et PM 2.5) qui sont a priori les plus nocives pour la santé. On évitera donc de faire la même erreur que cette étude absurde mentionnée ici, qui partant d'un calcul simpliste en déduit que la masse perdue du fait de l'usure des pneus (quelques grammes par km) est 1000 fois supérieure aux limites d'émission des particules à l'échappement (quelques mg par km), et donc que le résultat serait 1000 fois pire (je n'invente pas, c'est le titre de leur communiqué de presse : Pollution From Tyre Wear 1,000 Times Worse Than Exhaust Emissions). Ce n'est pas la masse seule qui fait la nocivité des particules : si un débris sur la route m'arrache un morceau de pneu de 5 grammes, ça se dégradera sans doute sur le bord de la route pendant quelques années, sans autre conséquence environnementale. La même masse en particules PM10 correspond à 1000 kms de roulage d'un moteur à combustion interne, soit à l'émission de 6x10^14 particules ...
La toxicité des particules vient de leur taille (réduite) et de leur nombre (élevé), ceci expliquant d'ailleurs que les normes antipollution font désormais mention d'un seuil PN relatif au nombre de particules émises, en plus du seuil PM relatif à leur masse.

Les progres récents des moteurs thermiques font que la combustion ne serait plus la principale source d'émission de particules.
En 2014 cette étude affirmait que la contribution des gaz d'échappement était du meme ordre de grandeur que celle des autres sources (pneus et freins)

It is estimated that exhaust and non-exhaust sources contribute almost equally to total traffic-related PM10 emissions. However, as exhaust emissions control become stricter, relative contributions of non-exhaust sources to traffic related emissions will increasingly become more significant

La tendance évoquée semble s'être confirmée depuis puisque d'après un rapport britannique de 2019, les autres sources seraient désormais responsables de 60% des PM2.5 et de 73% des PM10 (lien) :

Data from the UK National Atmospheric Emissions Inventory indicate that particles from brake wear, tyre wear and road surface wear currently constitute 60% and 73% (by mass), respectively, of primary PM2.5 and PM10 emissions from road transport, and will become more dominant in the future.

Les deux graphiques mis en valeur dans ce dernier lien sont particulièrement intéressants, et montre que l'usure des routes semble être un élément au moins aussi important que celle des pneus ou des freins :

2019_PM10_evolution_UK.png

2019_PM2p5_evolution_UK.png

Ce billet (non daté !) évoque (sans donner le lien !!) une étude allemande concluant que les freins seraient responsables à eux seuls de 20% des émissions de particules fines. L'ordre de grandeur est cohérent avec les graphiques précédents.

Abordons maintenant la comparaison EV/ICE sur ces trois points spécifiques :

  • usure des routes
  • usure des pneus
  • usure des freins

Usure des routes

Le phénomène d'usure de la chaussée est très dépendant de la charge à l'essieu. Cette page wikipedia cite une étude américaine affirmant que l'usure évolue comme la charge à la puissance 4[3]. Un VE "standard" actuel avec 350 kg de batterie, pesant en gros 30% plus lourd qu'un véhicule thermique équivalent[4], serait donc responsable d'une contribution près de 3 fois plus importante[5] à l'usure des routes.
Ceci dit l'hypothèse que l'on a faite jusqu'à maintenant, qui consiste à négliger la plupart du temps les poids-lourds dans le bilan global, devient plus difficile à justifier ici. Il est en effet communément admis que l'usure des routes est principalement le fait des poids-lourds, les VP y contribuant de manière marginale (cf cet article qui tente plus ou moins adroitement d'expliquer que le facteur 20 à 100 évoqué par un député sous-estime considérablement la réalité).
En résumé : les VE seraient plus pénalisants que les VP ... mais leur contribution demeurerait négligeable par rapport à celle des poids lourds.
(à confirmer en milieu urbain, où les PL sont relativement moins nombreux que sur les grands axes routiers)

Usure des pneus

Le poids plus important des VE est ici aussi un élément pénalisant. Il est difficile de trouver des sources fiables sur le sujet, dans la mesure où les VE sont encore peu nombreux sur le marché. Dans cet article sur techcrunch, l'auteur titre "Electric vehicles are changing the future of auto maintenance". On peut notamment y lire :

One of our portfolio companies, Zohr, an on-demand tire replacement service, sees its EV customers coming back for tire replacements 30% more frequently than traditional internal combustion vehicle owners.

Est-ce à gamme comparable ? Difficile à dire ...

Usure des freins

Les VE disposent ici d'un avantage majeur du fait de la présence de systèmes de freinage récupératif, dont l'objectif premier est d'améliorer l'autonomie en récupérant une partie de l'énergie "disponible" lors du freinage. On peut trouver plus de détails techniques dans cet article ou bien celui-ci, ou encore dans cette vidéo réalisée par Bosch.

Il existe différents "typages" de freinage récupératif selon les marques et les modèles de véhicules, mais quiconque ayant déjà roulé avec un VE sait qu'un des principaux jeux consiste à faire en sorte de toucher le moins possible à la pédale de frein. L'enjeu sous-jacent n'est pas négligeable, comme illustré dans l'article de techcrunch cité plus haut :

The reduced wear on pads and rotors is striking: some Toyota Priuses are still operating on their first set of brake pads after more than 100,000 miles of use, whereas you’d normally assume pads would be replaced after about 30,000 miles

Ici [6]

Sur un véhicule classique, les plaquettes sont changées entre 30 et 50 000 km en fonction du style de conduite et du profil des trajets.

Avec une électrique, il peut arriver que le changement de plaquette n’intervienne qu’après 200 000 km.

Une tentative de bilan "particules" global ?

Difficile donc de faire la part des choses entre véhicule électrique et thermique sur la question des micro-particules. On a vu que les VE ont un avantage sur le freinage, alors que la balance penche dans l'autre sens pour les pneus (un peu), et pour l'usure des routes (beaucoup, mais à moduler par une contribution globale qui reste sans doute faible).

Un rapport intitulé Non-exhaust Particulate Emissions from Road Transport a eté mis en ligne très récemment par l'OCDE (lien). On peut lire dans l'executive summary le passage suivant :

Electric vehicles are estimated to emit 5-19% less PM10 from non-exhaust sources per kilometre than internal combustion engine vehicles (ICEVs) across vehicle classes. However, EVs do not necessarily emit less PM2.5 than ICEVs. Although lightweight EVs emit an estimated 11-13% less PM2.5 than ICEV equivalents, heavier weight EVs emit an estimated 3-8% more PM2.5 than ICEVs

Un commentaire en français est disponible ici (12/2020)

La mise en circulation croissante de véhicules électriques et à hydrogène est indéniablement une bonne nouvelle concernant la problématique de la pollution de l'air, ces véhicules n'émettant pas de CO2 à l'usage. Pour autant, elle ne mettra pas fin à l'émission des particules fines dans l'air, avertit l'OCDE. Le problème pourrait même s'accentuer sans la mise en place de politiques publiques adéquates, car si les véhicules électriques légers, à faible autonomie, rejettent entre 11 et 13% de PM2.5 (particules de diamètre inférieur à 2,5 micromètres) de moins que les véhicules thermiques de même catégorie, les véhicules électriques dotés de lourdes batteries qui leur donne une grande autonomie affichent des émissions de PM2.5 de 3 à 8 % plus élevées que les véhicules classiques.

Il s'agit globalement d'évolutions tout à fait marginales ...




Pour finir

En très résumé, on peut donc dire qu'une électrification du parc aurait un impact :

  • important sur les polluants atmosphériques et en particulier les NOx, permettant en annulant la contribution du parc automobile de diviser par 2 la concentration de ces oxydes d'azote dans l'atmosphère
  • faible sur la pollution sonore, sauf éventuellement dans les zones à très faible vitesse d'évolution.
  • légèrement à la baisse mais de façon sans doute marginale sur les émissions globales de particules

J'ajouterai à cette conclusion factuelle une remarque qui l'est moins : si on se fie à ces données d'airparif, le nombre de jours où les polluants atmosphériques ont dépassé les seuils d'alerte en Ile de France depuis 3 ans (du 01/01/2018 au 01/01/2021) est égal à ...1 :)
Cela dit si la qualité de l'air en Ile-de-France n'est pas (contrairement à ce qui est souvent clamé) un problème majeur de santé publique (en supposant que ces seuils d'alerte soient pertinents), ce n'est pas le cas à Shanghai ou New-Delhi ...

2021_airparif_alerte.png

On abordera dans un prochain billet l'impact de la fabrication des véhicules, sujet bien plus complexe à traiter ...




Ressources :

Notes

[1] mais en intérieur le CO est un gaz très rapidement toxique et dangereux

[2] si une explication est nécessaire : 50% en 16 ans, donc 25% en 8 ans

[3] voir par ex cette présentation de l'IFSTTAR intitulée De l'essai AASHO au manège de fatigue

[4] c'est l'écart qu'il y a aujourd'hui entre une 208 et une e-208

[5] 1.3^4 = 2.86

[6] c'est un article du Dauphiné, et le rythme de changement de plaquettes mentionné fait effectivement davantage penser à un usage montagnard qu'urbain :)