Alors que l'automobiliste qui souhaite acheter une voiture ne peut faire autrement que rendre visite au concessionnaire représentant la marque qui l'intéresse, l'amateur en vin dispose de plusieurs moyens pour s'approvisionner : il a le choix de se rendre chez son caviste préféré, celui-ci pouvant travailler de manière indépendante ou bien faire partie d'un réseau de franchisés (comme les Nicolas et autres Repaire de Bacchus), d'écumer le rayon vins de la grande surface qu'il a l'habitude de fréquenter, ou encore de s'adresser directement au producteur.
Les puristes estiment même qu'un amateur digne de ce nom se doit d'acheter son vin sans intermédiaire, en favorisant la rencontre directe avec le vigneron. Si cette démarche est évidemment louable, et généralement enrichissante (au sens intellectuel du terme ...), elle reste néanmoins particulièrement chronophage, et principalement réservée à ceux qui résident à distance raisonnable des régions viticoles.
En outre, il peut arriver qu'elle soit vouée à l'échec, pour peu que l'on vise des domaines viticoles très réputés. Les crus classés bordelais, notamment, réservent exclusivement la vente de leur production à des négociants, et il est impossible pour un particulier de se rendre à l'accueil du château Cheval Blanc pour y acheter ses deux bouteilles de pinard hebdomadaires. Il devra attendre que les négociants en question aient revendu leurs vins à des cavistes pour pouvoir enfin se fournir auprès de ces derniers, chacun prélevant sa marge au passage.
Vu le prix du flacon, il est important de trouver un moyen de faire baisser la facture : l'achat en primeur est là pour ça !
- Acheter en primeur, qu'est-ce que cela en quoi consistè-ce donc ?
Commençons par la réponse simplifiée : il s'agit de payer d'avance et moins cher des vins qui ne seront mis en bouteille que dans un ou deux ans (et dont vous ne profiterez donc pas avant cette échéance).
Rappelons qu'un vin de "haut de gamme" subit généralement un long vieillissement en fût de chêne avant d'être mis en bouteille. Ainsi les vins du millésime 2005 croupissent-ils actuellement dans leurs barriques sombres et humides, pour encore de longs mois. On comprend aisément que Bernard Arnault, copropriétaire de Cheval Blanc, voit d'un bon oeil l'idée de bénéficier dès maintenant des miracles du millésime 2005, annoncé comme supercalifragilistique, plutôt que d'attendre 2008 avant d'en tirer profit. C'est donc entre autres pour disposer d'une avance (ou plutôt d'un "non-retard") de trésorerie que le système des achats en primeur s'est développé. Mais il a aussi permis aux domaines de se protéger contre la variabilité des millésimes. Chaque négociant dispose en effet auprès du domaine d'une allocation, c'est-à-dire d'un nombre de bouteilles qui lui est réservé. Grâce au système des primeurs, même si le millésime est moyen le domaine "force" indirectement le négociant à acheter l'intégralité de son allocation, sous peine de lui diminuer (voire de lui supprimer) son allocation l'année suivante, lui faisant courir le risque de rater un bon millésime.
Dans un secteur soumis à une forte demande, ce qui est le cas du marché du vin de prestige depuis une vingtaine d'années, on comprend que les domaines jouent sur du velours, et les négociants suivent, nolens volens.
Mais bon, in fine ces vins doivent être écoulés, donc il faut trouver des clients. Or pour appâter le chaland, et le convaincre à payer maintenant une caisse de vins qu'il ne boira que dans deux ans, il faut évidemment lui consentir une petite ristourne. D'où le "moins cher".
- Est-on obligé de passer par des intermédiaires pour acheter en primeur ?
Dans la plupart des cas oui. Dans un secteur soumis à une forte demande ... bla bla bla ..., la liste des soupirants (professionnels) prêts à acheter en primeur est longue comme un jour sans ... vin, et le particulier sera sauf rarissimes exceptions en liste d'attente.
- Bon, c'est tout bénef si je paie moins cher, alors ? C'est génial ce système !
Si vous êtes prêt à anticiper le paiement de vos bouteilles (sachant que le système de primeurs concerne de toute façon les vins de garde, que vous ne boirez donc de toute façon généralement pas avant au moins cinq ans), et si les vins en question sont à la portée de votre bourse, oui, c'est intéressant.
Reste à préciser ce que "moins cher" veut dire, dans ce contexte, et si vous pouvez être vraiment certain de payer moins cher que ce que vous trouverez dans le commerce quelques années plus tard. Il suffit dans un premier temps de regarder les prix du château Palmer, "simple" troisième cru classé sur Margaux affiché à 175€, pour constater que moins cher est une notion assez relative, et n'est assurément pas synonyme de pas cher.
Normalement, le vin sera mis en vente au public à un prix supérieur. Mais si vous vous intéressez au vin, vous devez savoir que le prix du vin est une quantité fluctuante, et soumise, entre autres aléas, à l'influence de certains critiques spécialisés. Or entre le moment où vous achetez le vin et le moment où celui-ci vous est livré, deux années se sont écoulées. En deux ans, la note attribuée à votre vin par ces critiques est susceptible de changer : parce que c'est une substance vivante, parce qu'un vin dégusté au début de la campagne primeur, encore en phase d'élevage, n'est pas forcément parfaitement "lisible", bref, parce que les critiques ne sont pas infaillibles et parce qu'il ne faut pas attendre d'eux la vérité ultime.
Palmer 2005 est actuellement vendu au prix fort parce qu'il a été très bien noté par les professionnels, comme vous pouvez le voir sur le lien déjà donné : entre 94 et 96 sur 100 par le grand gourou Robert Parker, 5/5 par la revue Decanter, tous semblent unanimes pour dire que c'est sans doute un très grand vin en devenir. Ces mêmes critiques regoûteront Palmer lors de sa mise en bouteille, vers 2008. S'il est toujours aussi bien noté à ce moment, pas de problème, son prix s'envolera (sans doute dans les 250€ minimum), et l'achat en primeur se sera révélé être une bonne affaire. A 170€ la bouteille, mais une bonne affaire quand même. Par contre si le vin évolue moins bien que prévu, et que Parker ne le note plus que 92, son prix sera revu à la baisse. Il ne sera alors pas impossible de le trouver dans le commerce, notamment lors des foires au vin d'automne, au prix auquel vous l'aurez acheté deux ans plus tôt.
Edit : je n'ai pas trouvé grand chose, a posteriori, à propos des primeurs "en général" sur le net francophone. On pourra se tourner vers les anglo-saxons, et notamment vers les cinq pages de Chris Kissack pour avoir quelques compléments sur le sujet ... Mais le mieux c'est sans doute d'aller lire ce qui se dit sur le forum dédié de lapassionduvin.com
une réaction
1 De Eric E. - 19/06/2006, 16:07
Pour avoir goûté certains 2003 en 2004, puis en 2006, il y a effectivement une sacrée différence de qaulité. Les 2003 étaient sublimes en 2004, juste pas mal en 2006... Les 2005 ne risquent-ils pas de suivre le même chemin?...