J'avais jusqu'alors échappé à la Ellismania puisque je n'avais lu aucun de ses précédents ouvrages. Moins que zéro, les Lois de l'attraction, American Psycho, Zombies, et Glamorama ne font pas partie de mon hélas continuellement décroissante (1) culture littéraire de ces dernières années, et je n'ai vu aucune de leurs adaptations cinématographiques. Ma connaissance de son oeuvre se limitant à la réputation sulfureuse d'American Psycho, j'ai donc commencé ce bouquin presque vierge de tout préjugé.
Plutôt mal, d'ailleurs. Une première centaine de pages loin d'être passionnante, qui m'a fait penser à du Beigbeder (99 F) dénué d'humour. Lunar Park étant une auto-fiction, Ellis revient rapidement sur sa vie d'auteur à succès, souvent défoncé, toujours bourré, avec un détachement qui ne le rend pas moins pathétique. Une ancienne de ses conquêtes, Jayne Dennis, actrice célebre à qui il a donné un fils, lui donne une seconde chance. Cet épisode a pour cadre une banlieue aisée de la côte Est. Sujet à de fréquentes rechutes, Ellis assume mal son statut de père, de mari, de professeur d'université. Son union bat de l'aile, son fils l'ignore, son psy le tourmente, ainsi qu'une étudiante, Aimee Light, qui a choisi une de ses oeuvres comme sujet de mémoire.
Puis le récit abandonne la description sans complaisance mais sans génie de la vie d'un couple célebre mais malmené pour s'orienter vers le fantastique. Ellis voit des traces inexpliquées sur la moquette, dans le jardin, sur les murs de sa maison. Ellis pense que la peluche mécanique qu'il a offerte à Sarah, la fille de Jayne, est animée d'intentions malfaisantes. Ellis voit le spectre de son père resurgir, puis celui de Patrick Bateman, tueur psychopathe d'American Psycho. Des enfants du quartier sont enlevés. Ellis pense que son fils pourrait y être mêlé. Un inspecteur vient lui annoncer que de nombreux meurtres ont eu lieu mettant littéralement en scène les crimes que Bateman avait commis.
Les moments de lucidité sont rares, le reste défilant comme une sorte de méta-hallucination, bien contée, prenante. On angoisse avec lui, on se désole de sa lâcheté, on plaint son impuissance à dire la vérité, suspect qu'il est à cause de ses délires éthyliques ou chimiques. Ses voisins ne le croient pas, sa femme ne le croit plus. Dire la vérité, ou dire sa vérité d'ailleurs ? L'ambiguité est savamment entretenue, participant de la progression du suspense.
Puis tous les pétards qu'Ellis avait allumés explosent, presque simultanément, rendant la fin du livre trop "chargée", trop parodique à mon goût. Je n'en dirai pas plus, pour ne pas ruiner les intentions de lecture de ceux qui sont arrivés jusque là.

A lire, quelques entretiens avec l'auteur :




(1) Une culture (dans le sens connaissance) peut-elle être continuellement décroissante ? A priori, c'est de l'information, de l'entropie, qui ne peut que s'accumuler, que croître. Les ouvrages que j'ai lus il y a dix ans, quinze ans, même si je suis aujourd'hui incapable d'en faire ne serait-ce qu'un bref synopsis, font néanmoins partie intégrante de ma culture, de mon expérience intellectuelle. Et pourtant, parce que je les ai oubliés, j'ai quand même l'impression que ma connaissance littéraire régresse ...