Jean-Baptiste Rudelle n'a pas aimé le livre La Fabrique des Crétins de Jean-Paul Brighelli, et le dit.
Et moi j'ai sursauté à la lecture de ce passage de son billet :
La valeur d’un employé réside dans sa productivité, qui est elle-même corrélée (imparfaitement il est vrai) à ses études. Ce n’est pas un hasard si le taux de chômage est inversement proportionnel au niveau des diplômes.
Ce n'est assurément pas un hasard, mais sûrement pas au sens où il l'entend. Si le taux de chômage est aussi lié à la hiérarchie des diplômes, c'est presque exclusivement à la frilosité des recruteurs et à l'élitisme du système (éducatif et ressourcehumanesque) français qu'on le doit.
Qui peut prétendre que la productivité d'un autodidacte à un poste de cadre moyen serait inférieure à celle de tous les diplômés qui occupent actuellement ces postes, alors que d'autodidactes justement il n'y en a point ? Comment argumenter sur la base d'un présupposé ? Tous les recruteurs refusent les candidats hors des clous, parce que tous les recruteurs sont persuadés que les candidats hors des clous ne seront pas suffisamment performants/opérationnels/productifs/... Mais sur quelle base s'appuient-ils donc, pour penser et (ré)agir ainsi ?
Est-ce normal qu'il soit impossible de passer la porte d'entrée d'une entreprise si on n'a pas le sésame adéquat, et pire encore, est-ce normal que la progression d'un salarié, reconnu comme performant, soit encore liée à la "valeur" d'un diplôme obtenu des années plus tôt ?
La France est un pays de frileux, qui a peur de rouler vite, qui a peur de boire, qui a peur de la grippe. Rouler vite peut tuer, boire peut tuer, la grippe peut tuer. Mais peut-être le recrutement d'un non-diplômé (ou d'un "mal-diplômé") peut-il tuer lui aussi, après tout ...
10 réactions
1 De Vicnent - 20/10/2006, 21:31
Je pense que légitimement, leur raisonnement doit être le suivant : au nom de quel principe devrais-je faire prendre un risque à l'entreprise en prenant un autodidacte ? En raisonnant par l'absurde sur la contraposée, on ne peut que lui donner raison.
Triste pays.
Et encore, on n'a pas parlé des sectes d'école et des cooptations...
Pourquoi crois tu que je viens de me priver de quelques soirées (pendant 5 ans tout de même) pour avoir un titre d'ingénieur grandes écoles alors que j'ai déjà : 7 ans d'expérience de chef de projet niveau ingénieur, créé et dirigé une boite pendant 2 ans, 1 maitrise de maths, 1 maitrise d'informatique en IA, et 1 maitrise d'informatique en RO ? hein ?
Et je rigole encore de me souvenir entendre certaines personnes de mon ex boite me dire "quoi, tu claques la porte alors que t'as rien derrière et que t'es en CDI : t'es vraiment un très gros malade !"
Si la gauche passe, je me casse.
2 De Eric C. - 21/10/2006, 01:10
> "au nom de quel principe devrais-je faire prendre un risque à l'entreprise en prenant un autodidacte ?"
Je sais bien que c'est la solution de facilité pour eux. Mais ce principe il existe : rien, absolument RIEN, ne prouve que l'embauche d'un "moins-diplômé" (je ne parle pas forcément de non-diplômé) constitue un risque, à part pour des jobs purement techniques (et encore).
J'ai laissé quelques commentaires chez Rudelle, qui répond notamment au premier en affirmant que le job des recruteurs est difficile, sous prétexe que des bons se vendent mal, et des mauvais se vendent bien.
Si des mauvais sont capables de bien se vendre, ils ne sont pas si mauvais que ça. Il ne faut pas les mettre partout, mais il y a sûrement des postes susceptibles de leur convenir. Et s'il y a bien un poste où il faut des bons, c'est précisément aux RH. Où un diplôme ne sera d'ailleurs jamais un indicateur fiable de la capacité d'un recruteur à détecter les compétences et la personnalité d'un candidat.
3 De Eric C. - 21/10/2006, 01:14
>"Pourquoi crois tu que je viens de me priver de quelques soirées (pendant 5 ans tout de même) pour avoir un titre d'ingénieur grandes écoles alors que j'ai déjà : 7 ans d'expérience de chef de projet niveau ingénieur, créé et dirigé une boite pendant 2 ans, 1 maitrise de maths, 1 maitrise d'informatique en IA, et 1 maitrise d'informatique en RO ? hein ?"
Parce que 7 + 2 + 3x (bac+4) < bac + 5
:)
4 De Vicnent - 21/10/2006, 10:53
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Je sais bien que c'est la solution de facilité pour eux. Mais ce principe il existe : rien, absolument RIEN, ne prouve que l'embauche d'un "moins-diplômé" (je ne parle pas forcément de non-diplômé) constitue un risque
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Surtout, rien ne prouve le contraire. De fait... En tout cas, du point du vue probabilité, ils ont raison (les rh) : Si on part du principe que qq qui a fait de nombreuses / beaucoup / difficiles Études, il est probablement capable de, quels intérêts à prendre qq qui n'a pas fait ces Études. Certes, c'est la facilité, mais pourquoi prendre des risques ?
Tiens, au fait, tu connais l'Étude qui permet de savoir comment trouver le meilleur candidat parmi une infinité ?
5 De Eric C. - 22/10/2006, 23:11
Non, vas-y, raconte ...
6 De Krysztof von Murphy - 23/10/2006, 11:14
En fait je vois deux problèmes :
- les DRH n'ont aucune idée de la manière de tester les capacités réelles des gens qui arrivent, donc les "certifications" comme les diplômes sont au moins une assurance que tu connais un peu un certain sujet ; avoir un bac+5 dans n'importe quoi de scientifique est la garantie d'une tête pas trop mal foutue, donc le candidat peut faire de l'info (exemple : moi).
- dans la flopée d'entretiens que j'ai fait, on ne m'a jamais demandé de montrer que je savais faire ci ou ça : dans des tests en condition réelle, un autodidacte ou formé sur le tas aurait sa chance.
Ajoutons le poids démesuré donné au diplôme initial pendant tout la vie (au contraire des États-Unis). Ça se comprend pour un débutant, mais quand je vois que tel dirigeant de 60 ans est toujours étiquetté par exemple "X-Mines", c'est aberrant - sachant que là c'est plutôt le nom du réseau d'influence (la "mafia") à laquelle il appartient.
7 De Eric C. - 23/10/2006, 13:58
Dans la première réponse à Vicnent j'excluais les boulots techniques. Il est évident qu'un gus n'ayant jamais été formé à l'utilisation d'un outil quelconque, que ce soit dans l'info, le tournage-fraisage ou la maçonnerie, sera moins performant qu'un titulaire du diplôme ad hoc. Mais à côté de ça les entreprises regorgent de postes non-spécialisés, où c'est surtout le bon sens, la capacité au démerdage et la diplomatie du gus qui font sa réussite au poste.
Pour les postes techniques on peut cependant tenir le même raisonnement en nuançant un peu : il ne s'agit pas d'opposer autodidactes complets et diplômés/formés, mais "moins bien diplômés" et "mieux diplômés". Pour le genre de jobs que je fais, il est inutile d'être titulaire d'un diplôme d'ingénieur. Un technicien formé au calcul de structures (et je crois qu'il existe aujourd'hui des formations proposant ce genre de profils) ferait tout à fait l'affaire. Mais n'aurait aucune chance de prendre la place d'un ingé s'il se présente pour un même poste ...
Concernant ta dernière remarque c'est précisément ce que je voulais souligner (sans doute de manière insuffisamment claire) quand je parlais du lien (ridicule) entre la progression d'un salarié et son diplôme, qu'il ait été obtenu 10, 20 ou 30 ans plus tôt. Il y a chez mon client des techniciens qui font un super boulot et qui mériteraient cent fois qu'on leur laisse la chance de progresser dans la hiérarchie, sans leur imposer de passer par des cours du soir au CNAM pour obtenir le petit papelard qui va bien.
Et il est clair que le système de castes est tout aussi insupportable, limitant l'évolution d'untel sous prétexte qu'il n'est pas X ici, ou Gadz'Art là-bas ...
8 De PB - 06/12/2006, 01:45
Il est évidemment absurde que la progression d'un employé dépende encore de ses diplômes.
Par contre, je ne vois pas pourquoi les diplômes ne seraient pas un critère d'embauche. C'est fait pour non ? Préféreriez-vous que un monde où les entreprises embauchent uniquement sur la base des tests (plus ou moins débiles) qu'elle font passer aux candidats ?
9 De Eric C. - 06/12/2006, 10:54
Pour un débutant, il est certes normal que le diplôme soit un "guide", et même un guide fort, pour les recruteurs. Mais ces derniers font preuve d'une extrême rigidité à ce niveau. Je reviens à ce que j'écrivais dans un autre commentaire : il ne s'agit pas forcément d'embaucher des non-diplômés, mais de laisser une chance aux "moins diplômés" ou aux "moins bien diplômés". Je suis ingénieur mécanicien, en poste depuis une dizaine d'années maintenant, et exerce une activité qu'un technicien correctement formé pourrait tout à fait assurer. Mais à l'embauche, le technicien n'aurait jamais eu le poste si un ingénieur s'était présenté en même temps, indépendamment des motivations et aptitudes personnelles. Le résultat c'est qu'il n'y a que des ingés à ces postes là aujourd'hui, alors que techniquement rien ne le justifie ...
Par ailleurs le marché du travail ne se limite pas au cas des seuls débutants, or l'importance du diplôme persiste de trop longues années. Un exemple tout simple : un salarié de SSII est en mission depuis plusieurs années chez un même client, ledit client étant tout à fait satisfait de ses services au point de le proposer aux RH lors d'une création de poste. Le brave candidat est refoulé par les RH pour un motif tout simple : il n'est titulaire que d'un bac+4, alors que le poste "exige" un bac+5.
Epatant, non ?
Pourtant cet exemple consternant n'est pas une invention de ma part, il lit même ce blog d'ailleurs ... Peut-être commentera-t-il, s'il suit ce fil.
10 De PB - 06/12/2006, 11:20
L'exemple du client d'une SSII qui recrute uniquement à bac+5 par principe est choquant parce que dans ce cas, l'entreprise n'a pas l'excuse de la "minimisation des risque en choisissant un diplômé" vu qu'elle sait très bien que la personne en question est compétente.
Changeant de sujet, je risque une remarque comparative entre la France et, disons, l'Angleterre : il a été dit ici, et je l'entends souvent ailleurs, que les entreprises anglaises ne souffrent pas de diplômite. Certes, mais il est difficile d'attraper la diplomite dans un pays où les diplômes universitaires sont quasiment donnés (sauf dans deux universités bien connues, mais c'est négligeable). L'université en Angleterre me fait penser à certaines écoles de commerce en France : c'est payant et, sauf accident, le diplome est donné à la fin.
Evidemment, tout ceci est l'avis de quelqu'un qui n'a jamais mis les pieds dans une université anglaise et qui a donc peut-être complètement tort. J'aimerais connaître les stats de succès en université anglaise pour voir...