En 1985, BAe (British Aerospace, fabricant britannique d'avions civils et militaires) passa un contrat majeur avec le gouvernement saoudien pour la fourniture d'appareils de combat, contrat si important qu'il en fut baptisé, du nom de Al Yamamah. Mis au crédit, entre autres, du premier ministre Margaret Thatcher, le deal se traduisit par la livraison de 96 Tornado, de plus d'une centaine d'autres appareils, et rapporta à BAe sur les vingt dernières années une somme estimée à plus de 40 milliards de livres. Aujourd'hui encore British Aerospace, désormais intégré au groupe BAE Systems, vit en grande partie des rentes de Al Yamamah.
Les soupçons de corruption furent alors légion, mais aucune enquête n'en apporta jamais la preuve.

En août 2006 la famille Saoudienne passa un pré-contrat avec le consortium britannique pour le remplacement des Tornado par des Eurofighter Typhoon, concurrents directs du Rafale français. Le montant de la transaction, pour 72 Typhoon, s'élèverait à 10 milliards de livres.
Mais cette fois il semblerait que les marchands de pots-de-vin ne soient pas passés à travers les mailles du filet. Grâce à la ténacité du Guardian, notamment (dont on peut lire ici un article datant d'octobre 2004 sur des malversations s'élevant, déjà, à hauteur de 60 millions de livres), on apprend que des commissions de plusieurs millions de livres auraient été versées sur le compte suisse de Wafic Said, intermédiaire travaillant pour le compte de la famille royale saoudienne qui avait déjà joué un rôle clé dans le cadre du contrat de 1985. Un deuxième personnage, Mohammed Safadi, homme politique libanais, est également sous la surveillance du Serious Fraud Office britannique.

Face à ces révélations qui pourraient embarasser la famille royale, le gouvernement saoudien menace d'annuler la commande de Typhoon et de se tourner vers les Rafales français :

"Saudi Arabia has given Britain 10 days to halt a fraud investigation into the country's arms trade - or lose a £10 billion Eurofighter contract. The contract supports up to 50,000 British jobs and there are now fears that the deal may go to France. The Saudis are understood to have already opened negotiations with the French about buying 36 rival Rafale jets."

La "requête" saoudienne pourrait presque passer pour légitime, dans la mesure où Al Yamamah prévoit explicitement que les modalités de réalisation du contrat doivent demeurer secrètes (le gouvernement britannique serait notamment rémunéré en liquide : en pétrole, pour être précis ...).

Nombre d'observateurs pensent que les saoudiens ne mettront pas leur menace à exécution, mais se contentent de faire monter la pression sur Tony Blair pour étouffer cette bien fâcheuse histoire de corruption. Côté britannique, pourtant, tout le monde (y compris les représentants du gouvernement) clame haut et fort que rien ni personne n'entravera l'enquête du SFO.

Via dedefensa.org, on apprend aujourd'hui que l'administration Bush fait elle-aussi pression sur le gouvernement britannique pour que l'enquête du SFO aboutisse :

"A bribery investigation threatening the future of 50,000 British jobs followed heavy pressure on Tony Blair from George Bush's administration. Documents released under US freedom of information laws reveal how the probe followed arm-twisting by the Bush administration."

Pourquoi le gouvernement américain mettrait-il en porte-à-faux son allié britannique, au risque de lui faire perdre un contrat de première importance ? La question mérite d'être posée, et dedefensa.org propose trois réponses (partielles, et non-exclusives) :

- l’hypothèse bureaucratique :

"Les affaires du Royaume-Uni sont considérées comme partie intégrante des matières intéressant la bureaucratie US"

- l’hypothèse unilatéraliste :

"Les USA ont leurs intérêts et rien d’autre. Il n’est ni question d’allié, d’arrangement, de special relationships. Là où ils peuvent favoriser ces intérêts, ils le font."

Sous-titrage : mieux vaut une rivalité franco-britannique sur le marché saoudien qu'une trop forte implantation de BAE.

- l'hypothèse de l'inculpabilité :

"les Américains se jugeraient sans doute fondés, voire obligés, en vertu de leur position objective de juge des comportements britanniques, d’intervenir auprès du gouvernement Blair pour lui faire les remontrances qui importent".

La phrase n'est pas très adroite, mais on comprend l'idée ; en matière de politique extérieure, l'équipe de defensa.org pense, comme elle l'avait déjà développé, que les américains ont une capacité extraordinaire à agir et à raisonner sur le postulat que "l’Amérique est bien absolu et justice pure", ce qui les conduit à interpréter différemment des actes "selon qu’ils sont accomplis par l’Amérique ou par quelque chose qui n’est pas américain".

Ma question à dix millions d'euros, maintenant : si Chirac parvient effectivement à vendre des Rafales aux saoudiens, par quel biais la commission occulte sera-t-elle versée, sachant que Clearstream est maintenant sous haute surveillance ?
Non Jacques, je déconne ...