Pour avoir manqué ces deux dernières années de la réussite qui m'avait accompagné les 16 années précédentes, le solde de points qui orne mon permis de conduire s'est réduit comme un budget d'université au point de n'afficher depuis quelques semaines que trois points.
12 moins 3 (franchissement de ligne continue, en voiture, début 2008) moins 1 (excès de vitesse de moins de 20 km/h, voiture, hiver 2009) moins 2 (excès de vitesse entre 20 et 30 km/h, moto, printemps 2009) moins 3 (excès de vitesse entre 30 et 40 km/h, moto, automne 2009) égale 3, le compte est bon. Enfin je dis ça, je ne suis pas allé le vérifier à la préf, peut-être qu'il y en a qui sont passés à la trappe (on peut rêver), ou au contraire que je ne les ai pas tous reçus (mais mon permis est a priori toujours valide). Vu la pente de la courbe je me suis inscrit à un stage de récupération de points, euh, enfin, de sensibilisation à la sécurité routière, profitant de cette étrangeté permettant à un conducteur présumé dangereux de se racheter une conduite (au moins un bout) moyennant finance (ainsi qu'un minimum d'attention).
Le CER Bobillot présentant le quadruple intérêt :
- d'être situé dans Paris
- de proposer des tarifs parmi les moins chers que l'on puisse trouver (240€, alors que cela monte fréquemment à 260)
- de proposer des stages sur vendredi et samedi, nécessitant de ne poser qu'un seul jour de congé
- de disposer d'un nom inspirant plus confiance que d'anonymes sociétés installées au fin fond du 95
c'est sur lui que j'ai jeté mon dévolu.
Ces stages sont assurés par des doublettes d'intervenants extérieurs à l'auto-école. Dans notre cas, et j'ai cru comprendre que ce genre d'association est systématique, nos deux "formateurs" sont :
- pour l'une, psychologue, psychanalyste, anciennement chercheuse au CNRS
- pour l'un, formateur en BAFM, plus particulièrement spécialisé dans le deux-roues, ancien moniteur d'auto-école
Beaucoup plus intéressant que le profil des formateurs est celui des stagiaires ; alors que je me souviens d'une période pas si lointaine où tous ceux qui participaient à ces stages rapportaient que l'audience y était quasi-exclusivement masculine, sur cette session c'est quasiment du 50/50 : 6 femmes pour 7 hommes, de tous âges (de 24 à 55a). Les différents niveaux sociaux semblent être également représentés : une fonctionnaire de police (ne travaillant pas dans le routier ... 30a), l'assistant d'un député (30a), un livreur opérant en VL (45/50a), une assistante maternelle en crèche (50/55a), un responsable de programmation chez Radio France (40/45a), un chauffeur/électro chez France Televisions (40/45a), une médecin travaillant en hôpital (50a), une responsable d'établissement médico-social (50a), une ingénieur commerciale en info (40a), un ingénieur en travaux publics (40a), une femme dont j'ai oublié la fonction, plutôt discrète et manifestement pas de langue maternelle française, titulaire d'un permis probatoire et de fait obligée d'effectuer le stage bien qu'elle ait revendu sa voiture), le dernier, le plus jeune (24a), étant également titulaire d'un permis probatoire et chef d'entreprise dans le bâtiment.
Trois titulaires du permis A dans le lot (dont ma pomme), soit deux hommes et une femme (qui ne roule plus en deux-roues).
La plupart des infractions sont "peu graves" : du cumul de petits excès de vitesse et de sanctions pour téléphone au volant majoritairement. Avec mon excès de >30 km/h je fais presque figure de hooligan, mais deux de mes petits camarades ont apporté un peu d'animation en racontant leur parcours d'usager de la route et leurs infractions (c'est le thème de la première matinée) : l'un coupable d'un délit de fuite alors qu'il circulait en moto en sens interdit (à 30m de chez lui, pour éviter un tour de pâté de maison) en état d'ébriété (donc un high score de 8 pts d'un coup puisque c'est le maximum légal, compte tenu du fait que son alcoolémie ne justifiait qu'une contravention de 4e classe), interpellé après plusieurs minutes de poursuite ... L'autre, notre jeune candidat avec une bonne tête de vainqueur, ayant passé son permis probatoire en 2004, l'ayant perdu en 2007, ayant roulé sans permis pendant plusieurs mois avant de le repasser, et de nouveau sous le coup d'une invalidation, ne sachant pas trop quels sont les PV qu'il a actuellement à son compte, interpellé en outre il y a quelques jours par les forces de l'ordre "pour avoir roulé à 200 sur le périph' à 3h du mat". Déjà inscrit à un stage il y a deux semaines, il a raté le 2e jour "parce qu'il avait passé la journée à dormir", et se représente donc à cette session. Ses récits amusent beaucoup tout le monde, c'est toujours ça de gagné.
Le ton du stage n'est clairement pas à la moralisation, les deux formateurs s'abstenant de porter tout jugement sur les infractions des uns et des autres. En-dehors des renseignements purement factuels (type de permis, nb de kms annuels, nature des infractions, etc ...), il est demandé à chacun de se prononcer dans un premier temps sur les sources de danger que l'on identifie sur la route, et ensuite sur la relation que l'on fait entre psychologie et sécurité routière. Cette deuxième question étant surtout le fait de notre chercheuse de service, qui se révèle une oratrice assez moyenne, incapable de quitter certaines réflexes purement académiques auxquels peu de stagiaires sont sensibles, le thème n'a pour l'instant pas eu beaucoup de succès. Sur le premier sujet, évidemment, tout le monde a son avis : la vitesse, les clignotants oubliés, les incivilités, les deux-roues motorisés, les piétons, les vélibs, le téléphone au volant ... J'ai été le seul à parler du non-respect des distances de sécurité.
L'après-midi, un topo sur le permis à points et les éléments de droit parfois (souvent d'après le formateur) méconnus des automobilistes : barème des infractions, conditions de récupération (avec notamment "l'absolution" décennale, cf art. L223-6, alinéa 4), différences entre suspension, annulation, invalidation ... Comment se situe le stage dans ce contexte, quand récupère-t-on effectivement les points, etc ...
Il nous présente ensuite un graphique représentant l'évolution de la mortalité routière de 1959 jusqu'à 2005, et nous demande notre avis sur les éléments permettant selon nous de justifier les principales phases (croissance rapide jusqu'en 72, chute brutale en 2 ans, décroissance lente de 75 à 2002, puis diminution très rapide ces dernières années), tout en les mettant en parallèle avec l'augmentation relativement régulière du trafic.
Le lendemain matin, illustration de l'importance et de la relativité de la perception individuelle dans notre appréciation des risques, tout d'abord d'un point de vue physiologique en prenant l'exemple de la vue : rétrecissement du champ visuel avec la vitesse, focalisation du regard dépendant de la concentration (en réalisant un petit exercice consistant à approcher progressivement un objet de l'axe du regard d'une stagiaire tout en lui demandant de fixer la personne qu'elle avait en face d'elle. Elle n'a réussi à identifier le bracelet argenté que lorsqu'il était à moins de 30° de l'axe de son regard, le prenant initialement pour un stylo rouge (...)).
La différence de perception des risques est ensuite illustrée par un nouvel exercice simple : deux routes sont dessinées sur le tableau, l'une rectiligne, sous un franc soleil, l'autre sinueuse, sous la pluie, bordée d'arbres. La question posée est la suivante : laquelle est la plus mortelle ? La majorité a choisi la route rectiligne, mais la discussion a été animée ...
Suivent quelques tests de temps de réaction, tout d'abord suite à un simple stimulus visuel (appuyer sur une touche dès qu'un objet apparait), puis à un stimulus complexe impliquant un minimum de réflexion (appuyer sur une touche dès qu'un objet bien précis apparait, parmi une liste défilante aléatoire), puis à un stimulus auditif tout en étant en train de lire à voix haute un article de journal.
La dernière après-midi, un topo / rappel légal sur les différents produits susceptibles d'influer sur notre perception : alcool, médicaments, stupéfiants ...
Pour finir un peu de "théorie" sur les distances de freinage, d'arrêt, sur l'importance du temps de réaction, avec encore une fois un schéma simple et efficace : si on dépasse à 50 km/h un bus en stationnement, a-t-on une chance de toucher aux freins si un piéton surgit devant le bus au moment où l'on arrive à hauteur de l'arrière de ce dernier ?
Un peu de lecture sérieuse sur le sujet :
- Revue de questions sur le continuum éducatif (pdf, Jean-Pascal Assailly, INRETS, 2005)
- Bilan 2008 du permis à points (pdf, sur le site de l'INSERR)
- CONSCIENCE DE LA SITUATION DES CONDUCTEURS : Aspects fondamentaux, méthodes, et application pour la formation des conducteurs (pdf, Thèse de doctorat de Béatrice Bailly, Univ. Lyon 2, 2004)
- Accidentologie, Usage et Représentation des Deux-Roues Motorisés (pdf, Projet "2RM" de l'ANR, 2008)
- Psychologie cognitive et sécurité routière (pdf, Thérèse Audet, Univ. Sherbrooke, Canada, 1995)
- La gestion de la vitesse (pdf, Document de Synthèse, Centre de Recherche sur les Transports de l'OCDE, 2007)
- Gisements de sécurité routière (pdf, INSERR, 2002)
- Le respect des règles de conduite par les jeunes conducteurs ...
- Sur l'engagement à respecter les limites de vitesse après un stage ... (pdf, INRETS, 2003)
5 réactions
1 De BB - 11/01/2010, 14:33
hooligan !!! ;)
Euh, c'était quoi les critères qui permettaient aux gens de dire que la route droite était plus dangereuse ?
2 De Eric - 11/01/2010, 15:33
Bertrand, tu me déçois, tu as plongé à pieds joints dans l'erreur attendue :)
La question posée était "quelle route est la plus mortelle ?", et non pas "quelle route est la plus dangereuse ?" ... L'argument est que compte tenu du risque perçu moindre sur la route ensoleillée et rectiligne, l'attention se relâche, et comme la vitesse y est naturellement plus élevée, les cartons sont sans doute plus rares, mais plus mortels quand ils ont lieu. S'ensuit une tentative d'introduction à la notion d'homéostasie du risque (oh, tiens ... ).
3 De BB - 11/01/2010, 15:48
groumpffff...
bon faut que je lise attentivement les enoncés en plus....
Mais bon, il manquait une information essentielle que connait toute personne ayant travaillé de près ou de loin à la conception d'une route sa largeur. Sans sa largeur, on ne peut pas répondre à la question.
Bon, ok, j'arrête de creuser mon trou, je suis en train de parler maori.
4 De Denys - 15/01/2010, 19:45
Même si on ne fait pas de statistiques valides avec douze personnes (encore que j'en connais qui ne se gênent pas), ton "différents niveaux sociaux sont représentés" me semble un peu court. Un chauffeur livreur et un éclairagiste à France 2 ("T'as encore eu une contravention avec la voiture de l'équipe de tournage ? Ben débrouille-toi, mon gars". Oui, j'ai un peu connu ça), soit deux représentants de catégories populaires qui exercent leur métier grâce à leur permis de conduire, et un paquet de cadres et d'ingénieurs, ça reproduit pas vraiment la structure sociale française.
Conclusion audacieuse : quand on a de quoi se payer le stage, on récupère ses points. Sinon, on roule sans permis.
5 De Eric - 15/01/2010, 22:18
Une fliquette et une assistante maternelle, je range pas trop ça dans les csp+ ... L'électro a perdu ses points en-dehors de son boulot, pour le livreur je crois que son employeur lui en avait payé la moitié. Enfin bref, c'était juste pour illustrer que le public moyen semble avoir évolué depuis les stages organisés il y a quelques années, où selon les rares témoignages entendus ça sentait surtout la testostérone assez jeune.
Sur ta conclusion, ça m'amuse beaucoup de lire des estimations de nombre d'automobilistes roulant sans permis, compte tenu du biais induit par leur situation sur leur comportement.