Excelllllente dégustation de la gamme de cognacs Hine avant-hier soir au repaire de Bacchus de la Madeleine, avec Jean-Michel Deluc au scénario et surtout Eric Forget, le maître de chai (cellar master puisque la marque est anglaise), à la réalisation. Bon pédagogue, manifestement toujours passionné par son métier après vingt ans d'exercice, c'était un régal de l'écouter dévoiler petit à petit ce qui fait le coeur de son activité.

Le cognac c'est quoi ? C'est presque comme de l'armagnac, mais c'est différent :) C'est une eau-de-vie de raisin, c'est-à-dire qu'il s'agit du résultat de la distillation de vin, distillat qui vieillit ensuite plus ou moins longuement en fûts de chêne. Les différences avec l'armagnac ?

  • Les régions d'origine, d'abord. L'armagnac est gascon, le cognac est charentais. Le gascon étant réputé bouillant et ombrageux, nul ne s'étonnera si on affirme que l'armagnac est généralement plus caractériel, plus typé. Le cognac, lui, prétend plutôt jouer sur la finesse ...
  • Les cépages, ensuite. Si l'armagnac accorde encore un peu de place à la folle blanche et au baco (voire au colombard), l'ugni blanc, que les deux régions ont en commun, occupe aujourd'hui l'écrasante majorité des surfaces plantées en cognaçais.
  • La technique de chauffe, enfin. Alors que la distillation de l'armagnac se fait en un processus continu, la chauffe du cognac est divisée en deux étapes : la première donne ce qu'on appelle le brouillis, qui titre environ 30 degrés, qui est ensuite redistillé pour obtenir l'eau-de-vie définitive, aux alentours de 70 deg. alcool.

Hine, qui a été revendu en 2003 par LVMH et appartient désormais à Angostura, possède 70 ha en propre en Grande Champagne, qui fournissent environ 40% de ses besoins. La production annuelle est de l'ordre de 600000 bouteilles. La mise en bouteilles et la distillation sont sous-traitées, Hine faisant appel à des distillateurs professionnels. Tout le métier d'Eric Forget est donc 1- d'acheter des eaux-de-vie (50% de déjà vieillies -6/7 ans-, 50% de non vieillies) et 2- de les assembler.

Pour revenir aux vignes, l'état sanitaire des raisins est évidemment important, mais la maturité (au sens oenologique du terme) n'est pas recherchée, et le vin qui est ensuite distillé n'a sans doute pas beaucoup d'intérêt gustatif : les rendements sont très élevés (120 hl/ha), et le vin avant distillation titre seulement 9 à 9.5 degrés. Les vins sont distillés avec leurs lies, pour rechercher la complexité aromatique. La fermentation malolactique n'est pas souhaitée, ni évitée. Lorsqu'elle se fait les cognacs obtenus sont très fins, mais peuvent manquer de corps. L'idéal est qu'une fraction des lots la fasse, mais elle n'est en tout état de cause pas contrôlée ...
Après la distillation vient le vieillissement, dans des fûts logés soit sur place, soit dans des entrepôts situés outre-Manche, à Bristol. Les conditions hygrométriques étant assez différentes, les eaux-de-vie ne vieillissent pas du tout de la même manière. A Bristol le degré passe naturellement de 70 à 40 en 25 ans, alors que le niveau ne bouge quasiment pas. En Charente, par contre, l'évaporation se fait pour moitié en volume et pour moitié en degré (il faudrait 50 ans pour descendre à 40°). Une réduction à l'eau (distillée) est donc nécessaire, et se fait en plusieurs étapes. Une eau-de-vie non vieillie supporte une première réduction relativement importante, pouvant aller jusqu'à 10 points. Les réductions suivantes ne dépassent généralement pas 3 à 4 points, sous peine de prendre le risque de "casser" le cognac et de voir des amorces de saponification. Quand on perçoit des arômes de savon dans des eaux-de-vie artisanales, c'est donc à cause d'une réduction trop brutale.
L'étape la plus importante, lors de laquelle tout le métier du maitre de chai s'exerce, concerne l'assemblage. Il s'agit de gommer les irrégularités liées au millésime et à l'origine même des lots achetés pour faire en sorte d'obtenir une qualité constante, année après année. A partir de ce qu'il appelle la coupe-mère (c'est sa base de travail), Eric procède par petites touches pour corriger son cognac. Un petit manque de finesse ? Si un petit coup d'oeil à ses notes lui dit que c'est le lot n° 417 qui lui avait paru le plus fin, hop, une correction de la coupe-mère par un ajout d'un chouia du lot en question. Un petit manque de complexité ? Et zou, c'est le lot n° 1012 qui fera l'affaire cette fois. Des retouches qui se font par %, parfois même moins si les lots sont très typés ... C'est un vrai puzzle, qui demande beaucoup de rigueur et de précision, et évidemment de goûter, sentir, regoûter ...
Les cognacs une fois finis ? Parlons-en, un peu, quand même (je n'ai pas les prix précis, j'indique juste un tarif pifométrique):

  • H by Hine : l'entrée de gamme (c'est un VSOP, de 6 ans d'âge environ), très fin, floral, élégant. "Féminin" ... (30 €)
  • Rare (10 ans) : plus confit, plus fruité que floral, plus puissant, plus complexe (35 €)
  • Antique (20 ans) : l'attaque est moins vive, l'âge ayant tempéré son ardeur. C'est en milieu de bouche que ce cognac se révèle, avec une belle amplitude et une grande complexité aromatique. Des notes de rancio apparaissent (80€)
  • Cigar Reserve (18 ans) : plus pêchu, destiné à satisfaire les amateurs de cigares pour lesquels la finesse du reste de la gamme risque d'être écrasée par la puissance de leur Partagas ou de leur Montecristo (75 €)
  • Millésimé 85 : nez riche, beaucoup de personnalité, moins consensuel que les cognacs non-millésimés, qui sont plus "larges". La bouche de ce 85 est au contraire assez droite, et puissante. Moi qui suis fan de bas-armagnacs, j'avoue que j'ai un petit faible pour celui-ci, avec lesquels il a un air de famille ... (150 €)
  • Triomphe (50 ans) : nez initialement assez fermé, qui s'ouvre progressivement. Ensuite c'est superbe et très élégant. Senteurs de pain d'épices, de miel, de réglisse ... Un grand moment ! (... mais cher : ~ 200 €)