Les ateliers sont rarement des lieux de fine gastronomie, sauf ceux de Joël Robuchon-bien-sûr (attention, référence télévisuelle). Situé rue de Montalembert dans le quartier miséreux du septième arrondissement parisien, à 50 mètres du Gaya de Pierre Gagnaire, cet atelier robuchonesque, monoétoilé du Michelin [1], joue la carte de la désinvolture : pas de réservation possible sauf pour le premier service (18h30 !), pas de carte en anglais (pour un restaurant dont la moitié de la clientèle doit être non francophone c'est plutôt gonflé), des tabourets en guise de chaise, une salle agencée autour de la cuisine, rendant de fait impossible toute discussion à plus de 3 ou 4 personnes ...
Mais quand on y vient à deux, et surtout pour apprécier la cuisine, è perfetto. Enfin ça devrait. D'ailleurs, à table !

  • crabe royal aux fines lamelles de raves épicées. Présenté sous forme de deux petites bouchées (les cinq premiers plats sont servis en portions de dégustation), le crabe domine, on perçoit la présence de l'estragon, c'est très goûteux, frais. Miam.
  • asperge verte en velouté, comme un cappuccino. Le velouté est présenté dans un bol, chaud, très crémeux, décoré d'une pointe d'asperge croquante et de feuilles que je n'arrive pas à identifier. Le serveur me répond "oseille", ça me laisse perplexe et ne ressemble pas du tout à l'oseille que je connais. En tout cas elles apportent avec un temps de retard une agréable touche acidulée. Encore meilleur que la soupe de maman, si tant est que ce soit possible (maman, si tu me lis ...).
  • foie gras de canard chaud aux sucs d'hibiscus. Servi tout juste poêlé, le "filet" de foie est fondant comme dans un rêve. Posé sur de fines rondelles d'un nouvel objet gastronomique non identifié. Couleur de navet, mais de loin pas assez fade pour en être, et encore plus croquant. Une variété de pomme de terre exotique ? Non, c'est trop acidulé. Le côté presque poivré, piquant ... du radis noir, ou un tubercule dans le genre ? Non, "rhoubarbé" me répond Giovanni. Tiens, moi qui ne suis pas fan de tarte à la rhubarbe, c'est bien la preuve qu'un bon cuisinier arriverait à me faire manger n'importe quoi. En tout cas c'est très réussi, les suc d'hibiscus, sous forme de traits sur l'assiette, concentrés, sucrés (loin de l'amertume un peu écoeurante de la plante en infusion), apportant un point final à cet excellent assemblage de goûts et de textures.
  • oeuf de poule cocotte à la crème légère d'épinard et aux petits croûtons. Ce n'est pas un coquetier mais un verre à cocktail qui arrive. Le jaune est au fond du verre, recouvert de la crème d'épinard (plus crème qu'épinard ...), il faut aller le percer avec la cuillère pour le mélanger. Parmi les croûtons, du pain bien sûr, mais aussi des mini-dés de jambon. Du croquant, du tendre, le tout dans du crémeux avec l'onctuosité du jaune. Sensualità ...
  • saint-pierre en filet avec des févettes mitonnées au piment doux. La moins réussie à mon goût des cinq entrées. Le poisson est peut-être un poil trop ferme, pas assez puissant en saveur pour résister au piquant de l'accompagnement. Place au plat, maintenant.
  • J'avais longuement hésité avec les côtelettes d'agneau de lait, mais j'ai finalement pris un petit risque, compte tenu de mon aversion pour le vin jaune, en choisissant la volaille fermière avec un jus au vin d’Arbois et morilles[2]. Arrivent des tranches à la cuisson impeccable, très tendres, généreusement accompagnées de morilles. En goûtant les morilles seules on se dit qu'elles vont écraser la volaille. Et pourtant, en associant les deux, elles perdent juste ce qu'il faut de force pour que la combinaison soit harmonieuse. Bellissimo.
  • le premier dessert s'intitule multivitaminé, ganache au chocolat Jivara, fruits rouges aux épices et glace verveine. Je ne comprends pas le pourquoi du "multivitaminé", mais le dessert est réussi, quoique la verveine fut très discrète.
  • chartreuse en soufflé chaud avec une crème glacée à la pistache. Dans un ramequin individuel, un soufflé arrive bien gonflé et doré, dans lequel le serveur ouvre juste avant de le servir une cheminée pour y glacer une quenelle de glace. A manger rapidement, pour profiter du contraste de températures [3]. Pas fan de pistache j'aurais dû penser à demander à inverser l'ordre de service des desserts, mais ça le fait bien quand même, en plus d'être original. Le fond du ramequin, quand les sucres se sont mélangés et que le blanc en neige est redevenu crémeux, donnerait presque envie d'y aller avec le doigt :) Le côté un poil entêtant de la chartreuse risque cependant de gêner ceux qui n'aiment pas la force arômatique de cette liqueur.

Le tout accompagné d'un[4] verre de blanc 2004 du château des Sarrins. Vin de pays du Var 100% rolle, assez puissant, gras, au boisé présent mais classieux, capable de s'adapter à la diversité des saveurs rencontrées.

Un bien joli repas en vérité ...

Notes

[1] oui, c'est la cantine pour pauvres, par rapport à cette table là

[2] mais qui dit vin d'Arbois ne dit pas forcément vin jaune, la sauce du plat le confirmera d'ailleurs

[3] sans se cramer sur le ramequin, encore à 200°, et posé sur une ardoise qui ne dissipe pas grand chose

[4] eh oui, un seul