Un peu long comme titre je le concède, mais au moins y'a tout dedans. J'ai failli l'essayer en latin, histoire de ne pas laisser Newton frimer tout seul dans son coin, mais bon, hein ...
Revenons à nos euros. Mon voisin de bureau m'a forwardé[1] il y a peu un extrait du fil d'info du site de France 2 disant que "les 50 patrons (français) les mieux payés gagnent encore plus". Jusque là, rien de révolutionnaire, la LCR n'ayant pas été élue, ça semble tout à fait normal. L'article affirme que leur rémunération moyenne s'élève à 3.8M€, en augmentation de 25% (ah, quand même ...).
Moi, j'aime bien les règles de trois. Surtout pour se (re)mettre des ordres de grandeur en tête.
3.8 x 50 = 190 M€.
+25%, ça veut dire que leur masse salariale était l'année précédente de 152 M€.
Donc 38 M€ d'augmentation.
Supposons que, au lieu de les verser aux dirigeants, les RH et DAF de toutes ces entreprises, dans un élan inouï de générosité sociale, décident d'attribuer cet accroissement de masse salariale aux employés. Répartis sur 5 millions de salariés (je suis sympa, sachant que les 10 plus gros employeurs en regroupent déjà 2.5 millions), ça fait ... 8€ d'augmentation par personne.
8€ par an, même pour un smicard ça fait pas lourd, dans les 0.05%.
Economiquement, le constat est on ne peut plus clair : entre filer un vingtième de pourcent d'augmentation à tous ses employés, dont la fraction syndiquée se mettra d'ailleurs illico en grève sous prétexte que c'est du foutage de gueule, et ce pour un résultat nul (si on vous file 10€ en plus par an, vous bosserez mieux/plus, vous ?), et donner 25% de plus par an à des éléments potentiellement influents, voire déterminants pour la réussite d'une entreprise, les plateaux de la balance comptable ne sont ostensiblement pas remplis de la même manière.
Reste le poids du symbole ... Le fragile équilibre de l'édifice économique dans lequel on déambule ne tient-il qu'à ce fil symbolique ?
Note
[1] le plus instructif, sur la perception que les autres peuvent avoir de soi, politiquement parlant j'entends, c'est de voir à qui il avait décidé de faire suivre l'article, et qui il avait omis
10 réactions
1 De Krysztof von Murphy - 31/10/2007, 10:16
Certes. Maintenant tu calcules sur 10 ans : les 80 €/mois, ton smicard, il les veut bien.
Le problème est d'abord politique : tu ne peux pas demander à tes employés/administrés de se serrer la ceinture tout en te goinfrant toi-même de +30% ou +130% (comme mes différents PDG ou notre président), en partant en plus d'un salaire déjà très élevé, sans y perdre toute ta crédibilité. On joue sur l'émotionnel, pas le rationnel.
2 De Krysztof von Murphy - 31/10/2007, 10:17
Oups, 80 €/an. Ça se refuse quand même pas.
3 De vicnent - 31/10/2007, 13:18
Yes, comme j'abonde dans ton sens !!!
@CvM : c'est qui "on" dans "on joue sur l'émotionnel" ?.
J'ai eu un débat sur ce fait quand il y a eu l'augmentation des députés. Mon amie trouvait immonde, et quand je lui ai fais le calcul, ça correspondait à 1 ou 2 centimes par personnes (+3000 euros/mois x 577 / 42 000 000 d'actifs = 4 centimes par mois !!!).
Et quand on parle de l'augmentation d'un pdg, on oublie de dire que lui doit bosser 75 heures par semaines, pendant pas mal d'année et qu'il a d'autres responsabilités et compétences qu'un pauvre débile de cheminot CGT qui doit appuyer sur ON/OFF pour conduire un train pour 2500 euros/mois et 35 heures/semaine.
Bref, l'argent tabou.
4 De Eric - 31/10/2007, 13:52
@Krysztof,
Ton calcul sur 10 ans m'échappe. L'augmentation elle est de 8€ _par an_. Donc au bout de 10 ans ça fait 80€ si tu veux, mais pas par an :)
@Vicnent,
J'ai rangé ce billet dans la catégorie Eco, pas Politico, c'était à dessein :) Le cheminot, il est débile si ça peut te faire plaisir, mais il a aussi des responsabilités. Maintenant, si le salaire (et je ne parle pas que des cheminots, mais de tous) était parfaitement corrélé à un quelconque mérite, depuis le temps, ça finirait par se savoir. Si la SNCF paie ses conducteurs de TGV de la sorte, c'est avant tout parce que ça constitue son image de marque, et qu'elle n'a pas envie d'être emmerdée par des grèves à répétition sur ces trains là.
Je suis d'accord avec Krysztof pour dire que ça relève de l'"émotionnel", c'est ce que j'avais appelé le symbolique. D'un strict point de vue économique, l'espérance de gain est plus élevée en doublant tous les ans le salaire des quelques cadres dirigeants qui comptent, sans toucher aux salaires des grouillots de base. Du point de vue des RH, la conclusion n'est amha pas aussi limpide. Du moins si on a l'espoir de réellement "gérer" les humains qui travaillent dans son entreprise, et ne pas seulement les considérer comme des ressources à rendement constant.
C'était juste pour illustrer le fait que le cynique calcul économique ne peut être transposé tel quel à la réalité de l'entreprise. L'allocation optimale de ressources, dès qu'on intègre une contrainte sociale, devient un problème (encore) plus complexe. Et pas forcément mathématisable :)
5 De Angus - 31/10/2007, 16:19
Allez je me lâche.
n'était-ce pas un peu fascheux (le "s" n'est pas une coquille) de diviser l'augmentation d'UN président par le nombre de salariés ("grouillots", "débiles", appelez-vous comme vous voulez), comme ça, pour rire ?
Oui, le quotient est aussi ridicule que l'opération.
Le boss a beau faire 75h/semaines (dont 74 dans des conditions sympathiques), ça reste UNE personne, et on me prouvera que très difficilement qu'il est 250 fois plus intelligent, 250 fois plus stressé ou même que la valeur de son travail est 250 fois plus importante qu'un SMICARD, même divisé par le nombre d'heures respectif.
6 De Eric - 31/10/2007, 17:37
Attention aux coquilles volontaires, le point Godwin n'est pas loin :)
Ca signifie quoi, "plus importante" ? Pour un économiste, rien. La seule chose qu'il voit, c'est l'élasticité (la sensibilité) de la capitalisation boursière (bon, ok, je caricature) par rapport à la valeur ajoutée marginale d'un individu. Je crains que celle du salarié lambda soit proche du zéro machine. Si j'en crois mon augmentation ces dernières années, mon directeur financier bien aimé fait ses comptes avec une calculatrice solaire.
7 De good_boy - 01/11/2007, 17:11
Ah, la notion de salaire.
Doit on payer au temps passé ? A la surface de responsabilité ? A la valeur générée ?
Au temps passé, un veilleur de nuit ne devrait être payé que lors des incidents.
A la responsabilité, un conducteur de bus / de rame / de train / de citerne de nitroglycérine devrait être payé bien plus qu'il ne le sont. Et je ne parle pas d'un architecte de génie civil, c'est qu'un pont c'est du sérieux.
A la valeur générée, on solde le service public et la moitié des chercheurs.
Mais est ce que ça serait "bien" ?
Déterminer un salaire, c'est une équation alacon qui se règle bien plus en relatif ("Merkel gagne plus que moi, c'est trop inzuste", "Je suis dans le service depuis plus longtemps que ce blanc-bec, hors de question qu'il soit mieux payé que moi") et au groin qu'avec une modélisation, afin de garder un peu de cohérence dans une entreprise.
Le mérite c'est difficile à évaluer et c'est assez personnel... et souvent le salaire est assez corrélé au prix de l'impact des conneries (avez vous jamais discuté avec un trader ? ou variante : quelle est la différence entre un horloger et un neurochirurgien)
Le salaire, c'est 1/raison, comme disait tonton Descartes : c'est la chose la mieux partagée dans ce monde puisque chacun est persuadé d'en avoir pas assez !
8 De Krysztof von Murphy - 01/11/2007, 23:23
Je calcule sur 10 ans parce que le problème se pose tous les ans dans les entreprises. Chaque année il y a le choix de donner beaucoup de brouzoufs à quelques-uns ou quelques clopinettes à beaucoup. Et ces clopinettes, sur un salaire, se cumulent. Et comme dirait Devos, dix fois rien, ça fait déjà un petit quelque chose.
(E.C) Helas, non. En maths, dix fois rien, ça fait tjs rien
Sinon je relève deux pièges tendancieux :
- On parle de quelques euros par an distribués à tout le monde : dans certaines boîtes qui vont mal, d'accord ; dans d'autres en santé correcte, la distribution pourrait être bien plus large. Là où je suis passé, les aumônes se comptaient quand même en 1 à 3% par an (des centaines d'euros par an au final) et on n'était pas contents quand même vus les bénéfs de la boîte et les primes des chefs. Mais on n'aurait pas pris comme une insulte de les avoir. C'est la répartition qui pêche, pas la somme.
(E.C) On n'aborde pas le problème depuis le même point de vue : je ne parlais de quelques euros par an que parce que je calculais l'équivalent-grouillot de l'augmentation accordée aux dirigeants. Tu donnes même du grain à moudre au camp d'en face : puisque les augmentations sont quand même de l'ordre de 1 à 3%, l'enveloppe allouée aux dirigeants est dérisoire par rapport à l'accroissement de masse salariale dû aux augmentations des autres salariés. Donc il n'y a vraiment pas lieu de se préoccuper des +25% du PDG...
- N'importe quelle somme paraît ridicule divisée par un nombre suffisamment grand, et c'est un truc de vendeur archi-classique pour te faire avaler n'importe quoi en te montrant que ce n'est rien. « N’hésitez pas à prendre le crédit pour votre télé, c'est vraiment rien du tout, juste 1€/jour (sur 10 ans), vous le sentirez même pas ! » « Comment ça, vous ne voulez pas prendre cette assurance ? Juste 1 centime par heure pour préserver l'avenir de votre famille ! » « Bon, les gars, la boîte va mal, vous allez pas me chier une pendule parce que votre salaire va baisser d’un misérable euro par heure, vous en touchez 2000 des euros (par mois) ! » « Comment ça tu veux une augmentation de 2% ? Mais tu te rends compte que ça va me coûter 6000 euros (sur dix ans), ça ! »
- L’inflation : le coût de la vie monte sans cesse, et le fait que le salaire en plus s'effrite rend les gens encore plus intolérant à ceux qui semblent prendre une plus grande part du gâteau.
- Sur le principe même et la responsabilité : voir ce billet de Roland Hureaux sur la __responsabilité__ des dirigeants, qui devraient être solidaires de leur entreprise (comme ils l’exigent de l’employé moyen) et ne doivent pas se goinfrer même s'ils le peuvent légalement (cas extrême d'EADS) :
roland.hureaux.over-blog....
9 De trooll - 06/11/2007, 16:23
mon grain de sel:
Amha, il faut bien séparer les secteurs publics de ceux du privé.
Dans le public, le traitement est relativement bien encadré, par des grilles salariales, en fonction des échelons et de l'ancienneté. La notion de mérite reste quand même marginale.
Dans le secteur privé, un dirigeant à la responsabilité prendre des décisions qui impactent énormément les performances de son entreprise, voir même sa survie. Sa rémunération est à la hauteur de cette responsabilité.
Pour ce qui est des salaires dans ma boite, ils sont calculés, bien sur principalement en fonction de ce que l'entreprise peut supporter, mais aussi selon les raisonnements suivants:
Les dirigeants doivent à l'entreprise un engagement et des responsabilités tels, qu'il est préférable qu'ils ne soient pas emmerdés en plus par des fins de mois difficiles.
Les salariés, percoivent un salaire, qui leur donne le sentiment que la valeur de leur travail est reconnue, et qu'ils n'aient pas envie de passer à la concurrence.
Et pour ce qui est de la notion de justesse salariaire, nous avons trouvé la solution suivante - elle vaut ce qu'elle vaut, hein!- 10% du bénéfice est partagé de manière égalitaire entre les salariés, le patron et l'homme de ménage touchent la même prime.
Il est vrai que ceci est possible, parce que l'entreprise est économiquement saine, et en progression.
Voili voilou
Arnaud
10 De Eric - 06/11/2007, 17:30
@Arnaud,
Tu peux aussi séparer les PME des grands groupes. Je pense que le phénomène d'inflation quasi-cosmologique des salaires des dirigeants concerne surtout les entreprises côtées en bourse dont la valorisation est conséquente, soumettant de fait la rémunération du PDG aux turpitudes du marché. Or dans ces grands groupes, le traitement du grouillot moyen est lui aussi très encadré, si l'on omet quelques métiers dont la rémunération est directement indexée aux résultats. Si j'étais salarié de la maison au losange, aujourd'hui, je pourrais deviner à moins de 10% près mon salaire en fin de carrière, quoique je fisse entre temps.
@Krysztof, En plus des quelques réponses que j'ai insérées dans ton précédent commentaire, je viens de retrouver un truc que j'avais écrit il y a un peu plus d'un an sur la notion de responsabilité (et que tu avais lu, d'ailleurs, puisque commenté :)). C'est ici.