Si la plupart des lecteurs que Google amène en ce moment sur ce blog cherchent des informations sur l'impact factor ou l'indice syntec, requêtes pour lesquels je figure en (fin de) première page, un rapide coup d'oeil aux stats montre qu'il y a du nouveau sur le front des bulles. Le fait que mon billet sur la vitesse d'un bouchon de champagne ait été récemment visité à plusieurs reprises m'a fait découvrir (vive la sérendipité) qu'un universitaire allemand s'était attelé au montage d'une expérience sur le sujet.
Toutes les dépêches francophones se contentent de mentionner une vitesse de 40 km/h, sans davantage de détails sur ce qui intéresse vraiment un ScGeek[1] : à quel instant cette vitesse est-elle mesurée ? à la sortie de la bouteille ? pourquoi la pression retenue pour l'essai est-elle si faible (2.5 bars, alors que des sources plus complètes[2] parlent plutôt de 4 à 6 bars) ? s'agit-il d'un mousseux allemand ? pression absolue ou relative ?
J'ai donc envoyé un mail à l'auteur présumé de l'article pour savoir s'il peut me donner quelques précisions en anglais, mais en attendant sa réponse les germanophiles peuvent consulter le compte-rendu ici, les autres se contentant de la version Google-translated pour comprendre que :
- il faut 0.48 seconde au bouchon pour parcourir 5.50 m, la vitesse de 40 km/h n'est donc qu'une moyenne sur cette distance
- sur les 35 premiers (?) centimètres, la vitesse moyenne relevée à l'aide d'une caméra haute vitesse est de 16 m/s, soit près de 60 km/h
Commentaires :
- alors que la pression est sensiblement plus faible dans cette expérience que dans le billet de procrastin qui avait initialement titillé ma curiosité, la vitesse est comparable : moyenne de 16 m/s sur 35 cm, contre 13 m/s sur 60 cm. L'étude citée par procrastin était donc probablement dans le faux ...
- dans sa petite application numérique sur tableau noir, Friedrich Balck estime la section du goulot à 2 cm^2. Mon estimation de 5 cm^2 était sans doute surévaluée, puisque le site maisons-champagne.com nous parle de 18mm pour le diamètre du col interne de la bouteille, soit une section de 2.5 cm^2. Je reprendrai moi-même des mesures ...
- la pression de 6 bars est celle qui s'exerce sur le bouchon dans sa position initiale. Au moment où le bouchon se libère définitivement du frottement de la bouteille et acquiert l'essentiel de son accélération, la pression a déjà considérablement diminué puisque le volume disponible pour le gaz s'est accru du volume libéré par le bouchon. Cette diminution de pression dépend du ratio entre ce volume libéré et le volume initial de gaz (un motoriste aurait envie de parler de "taux de décompression" ...). Tout dépend donc du niveau dans la bouteille avant débouchage ...
- en continuant les recherches je suis tombé sur un article du blog khymos, dont je suis pourtant lecteur assidu (mais ce n'était sans doute pas le cas en 2006), mentionnant un calcul réalisé par un physicien suédois qui conduit à une vitesse de l'ordre de 20 m/s. Vu que j'avais surestimé d'un facteur 2 la section du bouchon, donc la force propulsive, mes 50 m/s du billet précédent donneraient quelque chose de comparable. Promis, dès que je réouvre une bouteille de champ', j'essaie d'expérimenter ...
(CC) Photo: Luigi Anzivino
Quelques liens intéressants :
- champagne et champagnisation, où l'on apprend notamment que la pression monte typiquement à environ 6 bars (à 12°) en 2 à 3 mois, et que le dégorgement fait ensuite perdre environ 1 bar.
- la thèse de doctorat de Cedric Voisin sur la nucléation des bulles dans une flute de champagne, avec un passage qui concerne plus spécialement notre sujet dans les pages 32 à 35
- une autre thèse, par K. Abou Saleh, également soutenue à l'université de Reims (évidemment !), qui montre que les producteurs de champagne s'intéressent aussi à la collerette de bulles qui se forment à la périphérie de la flûte compte tenu de son impact sur la "qualité perçue" ...
- et évidemment, le livre référence de Liger-Belair sur la physique des bulles, qu'on peut consulter sur l'ignoble google books, mais qui s'intéresse lui aussi à ce qui se passe dans la flûte davantage que dans la bouteille
Notes
[1] il y en a au moins deux qui trainent sur Decanter, cf. les commentaires sur cette dépêche
[2] bizarrement Wikipedia ne dit rien sur le sujet
7 réactions
1 De chag - 07/01/2009, 13:19
Est ce que la pression a l'intérieur de la bouteille (et donc la vitesse de sortie si j'ai bien compris) varie selon l'agitation de la dite bouteille et la température (et éventuellement d'autres facteurs extérieurs) ? parce que si oui, faut m'expliquer comment il fait lui : www.dailymotion.com/video...
2 De Eric - 07/01/2009, 17:19
Oui, la température joue :
- elle fait directement évoluer la pression du gaz non dissous
- elle fait varier la solubilité du CO2 dans le champagne, donc la quantité de gaz qui y est dissous
- elle fait varier la pression de vapeur saturante
Pour l'effet de l'agitation, voir une explication sur cette page, §1.2.3
3 De Corinne 'tite route - 08/01/2009, 00:21
J'hallucine, tout ce blabla pour avoir une excuse "valable" pour ouvrir une bouteille de champagne alors que les fêtes de fin d'année sont terminées ! ;o))
PS : je ne sais pas si tu as reçu mon mail en réponse au tien, vu que j'ai eu un retour d'erreur. Si ce n'est pas le cas, je te remercie pour ton mail (et j'assume parfaitement mes 25 ans :o)).
J'en profite pour te souhaiter une belle année 2009, qu'elle te voit entouré de l'amour de Laetitia et de Théa, en pleine forme pour pouvoir continuer à écrire sur ton blog des articles économiques et scientifiques auxquels je ne comprends rien, avec un travail qui te rapporte suffisamment pour que tu continues à écumer les 3 étoiles et avec un peu de temps pour faire de la moto et regarder les matches de tennis à la télé.
Je pourrais te souhaiter plein d'autres choses mais il me semble avoir lu une note qui me fait penser que tu sais aussi bien que moi que ça ne servira pas à grand chose ;)
4 De Krysztof von Murphy - 13/01/2009, 20:20
Dans le même registre, un des derniers Pour la Science parlait de l’étude de l’éjection du Coca après l’injection d’un mentos. Moins classe mais passionnant ! L’étude du phénomène dans le champ’ était envisagée :-)
5 De Khalil Abou Saleh - 25/04/2009, 07:55
Bonjour, merci de referencer mon travail dans cette page. Vu que j'ai travaille sur les bulles de champagne et la stabilite de sa collerette, J'en profite pour donner mes expliquations.
"l'ejection" que le bouchon de champagne subbise depend de l'effet "thermo-mecanique" de l'adequation bouchon-bouteille-gaz. De plus a la pression elevee du gaz CO2 (7 bars) sur la partie basse du bouchon, il faut soustraire les forces d'interactions entre la troisieme partie du bouchon, (en comptant d'en bas), qui agissent sur les parois de la bouteilles, en contact avec cette partie du bouchon, c’est cette partie qui assure une stabilite de fermeture du bouchon dans la bouteille, y'en a 4 de differentes matieres. En agitant la bouteille, on fait mouiller la surface comprise entre le bouchon/bouteille, et du coup ce forces d'interactions diminuent et dans ce cas la pression agissant sur la bouteille augmente, n’oublier pas aussi que si la temperature de la bouteille augmente, la pression du CO2 augmente (voir loi d'Henry sur la solubilite). Le mec du video (d’en haut), a probablement agite et chaufer la bouteille aupparavant. Sa precision de viser ne m’etonne pas (dans la precision les japonais sont reputes).
6 De philvers78 - 02/05/2010, 21:59
Bonjour,
Un bouchon étant, hier, parti très vite au plafond pour revenir ensuite très vite sur la table, le tout en disons près d'une seconde, la question s'est posée de savoir si la vitesse est maximale à l'instant de l'éjection pour ensuite décroitre, ce que je pense, ou si il y a une phase d'accelération. Merci pour votre réponse.
7 De Eric - 03/05/2010, 22:49
Au moment où le bouchon se libère complètement du goulot l'accélération est maximale, puisqu'il n'y a plus aucun frottement pour retenir le bouchon et que la pression est encore élevée. Donc la vitesse maximale est bien atteinte "un peu plus tard", le temps que l'accélération due à la pression en aval soit équilibrée par la décélération induite par (la gravité + la résistance aéro). Comme la pression en aval diminue très vite, mais que la résistance aéro augmente également très vite (comme le carré de la vitesse), cette phase d'accélération doit être très courte. Pas plus d'une ou deux longueurs de bouchon à mon avis ...