There are only two kinds of reliability engineers: those who say “Data is the problem” and those who say “Data are the problem.”
L'obsolescence programmée est le sujet de discussion économico-conso-environnementaliste tarte à la crème de ces derniers mois. Mais la préoccupation n'est pas nouvelle ...
En 2006, j'avais cité un article du New York Times illustrant le fait que les consommateurs renouvellent leurs achats électroniques avant qu'ils ne s'usent, tout simplement parce que les nouveaux objets font plus de choses, mieux et plus rapidement que les précédents, rendant indirectement caduque la théorie du complot obsolescent (tm)
En 2009, j'avais parlé d'extension de garantie, et évoqué une première fois à cette occasion le mythe de la durée de vie calculée "juste comme il faut", sujet sur lequel je vais revenir un peu plus loin.
En 2011, peu après la diffusion du documentaire (évidemment à charge) d'Arte "Prêt à jeter", Alexandre Delaigue avait écrit un long premier billet sur le sujet ("Le mythe de l'obsolescence programmée"), qui avait suscité moult commentaires, et fait d'Alexandre le héraut de la lutte contre la diffusion de ce mythe, les médias l'invitant dès lors qu'il fallait trouver un opposant aux conspirationnistes. Pour faire court, je résumerais son article en disant que réduire la durabilité d'un produit n'est d'une part pas forcément un bon choix stratégique dans un milieu concurrentiel, et d'autre part que la durabilité n'est qu'une des qualités souhaitées quand on achète un bien de consommation, qui résulte de compromis avec d'autres qualités (coût, praticité, nouveauté, design). Ce n'est donc pas la seule qualité que client et industriel privilégient ...
Plus récemment, on peut lire d'intéressants billets chez Tom Roud (La reine rouge de l’obsolescence, j'y aime bien le concept d'obsolescence entraînée) et chez Dr Goulu (L’obsolescence est-elle programmée ? , où l'on trouvera notamment une synthèse de la biblio disponible sur le sujet, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'est pas très riche, ni concluante quant à la pertinence du mythe en question)
Je souhaite pour ma part en remettre une couche sur le thème "on ne sait pas maitriser la durée de vie d'une pièce à quelques mois près" (par exemple pour qu'elle tombe en panne juste après la fin de la garantie). Je suis d'accord pour dire que l'obsolescence fait partie de l'équation économique, mais, j'insiste, on ne sait pas la programmer[1]
On ne sait pas programmer l'obsolescence car :
- La dispersion est considérable à l'échelle du matériau : si l'on prend deux éprouvettes issues du même acier, dans un même lot fournisseur, et qu'on réalise le même essai de tenue en fatigue sur ces pièces, on peut obtenir des durées de vie variant du simple au double. La courbe de Wöhler, qui caractérise la durée de vie d'une éprouvette (on parle en nombre de cycles) à un niveau d'effort donné est caractérisée pour une probabilité de rupture de 50%. Si l'on regarde cette courbe, on voit que pour un niveau de contrainte de 200 (MPa = MégaPascal), on a une durée de vie de 1000 cycles. Cela signifie qu'après 1000 cycles, 50% des échantillons auront cassé. Mais cela ne dit rien sur la dispersion des durées de vie : certaines éprouvettes peuvent casser au bout de 700 cycles, d'autres au bout de 1400 cycles. Je sais qu'on rentre ici dans une discussion certainement trop technique, mais j'ai quand même uploadé (ici) une feuille excel toute bête[2] qui illustre rapidement la notion de dispersion de durée de vie, fondamentale en fiabilité, et relativement bien caractérisée par la loi statistique de Weibull. Le paramètre β (voir par ex sur wikipedia) est celui qui quantifie cette dispersion. En électronique, β est proche de 1, ce qui signifie que le taux de défaillance est presque constant dans le temps : votre iPhone a autant de chances de tomber en panne cette semaine que dans un an ... En "mécanique" (où la défaillance intervient plutôt pour des questions d'usure), β est plus élevé. On trouve par exemple ici une base très approximative des ordres de grandeur pour des composants "simples" (roulements, joints, etc ...). On voit qu'une estimation haute du paramètre β est de 4 à 6. Or même pour de telles valeurs, le 4e onglet de la feuille excel mentionnée ci-dessus montre que la durée de vie varie grosso modo de 500 à 1300 heures, soit presque un facteur 3. Et plus β est faible, plus les durées de vie sont dispersées ...
- Il faut rajouter la dispersion due au process de fabrication, qui intervient quand on passe du matériau "de base" à la pièce finie : les pièces de fonderie de grande série, par exemple, sont fabriquées à partir de moules. Ces moules s'usent, ce qui fait que les dimensions des pièces qui sortent d'une chaîne varient selon qu'on les prélève juste après un changement de moule, ou juste avant. Dans le même ordre d'idée, un moyen industriel de serrage n'est pas _parfaitement_ répétable : le couple de serrage garanti par une visseuse industrielle varie avec une tolérance de +/-5%
- Plus important encore : on sait peu de choses sur ce qu'on appelle les usages clients. Je prends l'exemple de l'automobile, que je connais assez bien :) Entre un jeune excité et un petit vieux tranquille, entre un VRP qui ne fait que de l'autoroute (et sollicite donc surtout moteur et roulements de roue, mais assez peu les pièces de suspension) et un urbain qui ne roule que sur des pavés (usage au contraire sévère pour les pièces de suspension, mais pas pour le moteur) ou dans les bouchons (l'embrayage ...), entre un client qui roule en France et un autre au Brésil, il y a une diversité de profils considérable ... On est donc forcément obligé de faire des hypothèses, aussi bien sur le type d'utilisation que peut avoir un client dit sévère, que sur l'influence d'une sévérisation de l'usage sur la durée de vie. Encore un petit passage avec des formules, désolé : pour une pièce mécanique, cette influence se retrouve dans la pente de la courbe de Wöhler évoquée un peu plus tôt. Si on se repenche sur cette courbe, on voit que quand on augmente la contrainte (la sollicitation, c'est la même chose) de 200 à 260 MPa, soit une augmentation de seulement 30%, la durée de vie passe de 1000 à 100 cycles : elle est divisée par 10 ... Dans le domaine normal de fonctionnement d'une pièce métallique, on peut retenir l'approximation suivante : une augmentation de 10 à 15% de la sollicitation revient à diviser par 2 sa durée de vie !
- lorsqu'on recherche une fiabilité "suffisante" dans un contexte de grande série, on vise des taux de défaillance très faibles pendant la période de garantie, mettons inférieurs à 1 pour 1000 par exemple (ordre de grandeur évidemment variable d'une industrie à l'autre, inutile de chipoter là-dessus pour la suite de l'argumentation). Pour pouvoir démontrer une telle fiabilité, il faudrait donc pouvoir tester 1000 pièces, dans des conditions les plus proches possibles d'un usage client réaliste, et montrer qu'on n'a, au maximum, qu'une seule défaillance. C'est, sauf très rares exceptions, complètement irréaliste. On est donc obligé de sévériser les essais, ce qui permet d'obtenir des défaillances en testant moins de pièces, et conduit à des essais plus courts, compatibles avec des plannings industriels. On s'appuie donc sur des hypothèses (eh oui, encore) sur la pertinence de la relation d'équivalence que l'on construit entre un essai réaliste mais trop long, et un essai plus court mais plus sévère. D'où le petit topo ci-dessus sur la pente de la courbe de Wohler ... Comme cette relation d'équivalence varie d'un matériau à l'autre, d'une condition d'usage à l'autre, c'est encore une couche d'incertitude que l'on ajoute dans le processus de détermination de la durabilité.
J'espère que ces premiers éléments suffisent à convaincre un lecteur peu au courant des questions de fiabilité que la prédiction d'une durée de vie est un exercice très difficile, et que l'on ne sait absolument pas "programmer" des pièces pour qu'elles défaillent toutes dans les semaines qui suivent la fin de garantie. On vise au contraire des durées de vie bien supérieures, en espérant que notre connaissance des mécanismes de défaillance soit suffisante pour que, compte tenu des dispersions, le taux de défaillance soit très faible avant la fin de la garantie, et augmente ensuite progressivement. Allez, une dernière application chiffrée pour illustrer tout ça (résultat que ceux qui veulent jouer avec la feuille excel pourront facilement retrouver) : si je veux qu'une pièce dure 1000 heures avec une fiabilité de 99% (soit une seule pièce défaillante sur 100 pendant cette durée), et en partant sur l'hypothèse d'un paramètre β=2, il faudra patienter plus de ... 8000 heures pour que 50% des pièces cassent.
Notes
[1] sauf car rarissimes, comme la légende -dont je ne sais toujours pas si elle est fondée- de l'imprimante Epson dont une puce compte le nombre d'impressions et met l'imprimante en défaut une fois une certaine limite atteinte, indépendamment du niveau réel d'encre dans les cartouches. Ceci dit, sans vouloir jouer à l'avocat du diable, peut-être que le fait d'imprimer avec un niveau faible donc une encre sans doute dégradée conduit à une dégradation accélérée des buses, ce que le compteur permet d'éviter. Bref ...
[2] on trouve un exercice similaire sur contrepoints, qui s'appuie hélas sur une loi "incorrecte" (décrivant moins bien la réalité), ce qui ne remet par contre pas en cause les conclusions de la démonstration
8 réactions
1 De Michel Thion - 08/05/2013, 12:08
Intéressant, oblige à réfléchir sur un sujet "évident". Ne dit pourtant pas pourquoi mon lave-linge vieux de 30 ans, et d’autres du même modèle, tournent toujours et que toutes les autres n'ont pas duré plus que 6 ou 7 ans... Autrement dit, saurait-on fabriquer certaines machines "inusables" ? Les industriels auraient-ils intérêt à le faire ? Mais bon article malgré tout.
2 De Axonn - 08/05/2013, 23:38
"Ne dit pourtant pas pourquoi mon lave-linge vieux de 30 ans, et d’autres du même modèle, tournent toujours et que toutes les autres n'ont pas duré plus que 6 ou 7 ans..."
Simple : parce qu'on a vu uniquement la perle rare qui a duré 30 ans, pas les autres, à la casse.
Ensuite, est-ce qu'on peut faire un engin inusable ? Ben dans le militaire, on essaie, mais on est obligés de prévoir des pièces de rechange quand même.
à part ça, qui y a intérêt ? L'industriel, il n'augmentera pas la durée de vie si ça fait utiliser des matériaux beaucoup plus chers. Ensuite, dans de nombreux cas, le client aurait intérêt à changer au bout de 5 ans même si l'engin marche encore.
Lu un commentaire sur un autre blog, selon lequel les industriels mettent des composants fragiles pour saboter les produits. Rien ne serait plus stupide que de mettre une pièce qui dure 1 ans dans un engin dont tout le reste dure 30 ans. Que toutes les pièces durent 1 an, ce sera moins cher à fabriquer.
3 De Jean-Noël Plauchu - 10/05/2013, 19:22
Bonjour
Cet article apporte de éclairages très intéressants sur la durée de vie des matériaux
L'obsolescence est parfois le résultat d'un souhait pour l'industriel de réduire son prix de vente, en faisant des économies sur la quantité de matière première composant son produit. Le client, regardant son porte-monnaie au moment de l'achat et ignorant la différence de durée de vie, choisira souvent le moins cher, et qui durera moins. Le problème, quand le client veut un produit qui dure (car il va utiliser l'objet souvent et qu'il souhaite le garder des années) est de trouver quelque chose qui correspondent à son besoin.
Ils sont rares, les objets garantis 10 ans (certains matériaux utilisés en toiture comme les plaques goudronnées) ou a vie (certaines clés à pipe par exemple). Mais ils existent, preuve que le fabricant peut faire le choix de la qualité, en le répercutant sur le prix c'est évident.
L'exemple des vêtements est flagrant : les jeans super minces se trouent à grande vitesse, contrairement aux jeans épais qui durent. Pas besoin de connaître les maths pour le constater.
Dans l'informatique et la téléphonie, on cherche à faire toujours plus léger, et ceci peut finir par nuire à la durée de vie.
Par ailleurs, la conception de certains objets les rendent irréparables. Ex : batterie non remplaçable, ordinateur portable dont on ne peut changer les composants défecteux
Enfin, la non disponibilité des pièces détachées empêche toute réparation. Mon petit rabot électrique de 1997 est bon pour la poubelle car la pièce qui est cassée dessus est indisponible. Pourquoi les pompiers réforment leurs véhicules au plus tard au bout de 15 ans, même s'ils sont quasiment neuf ? (vu sur les ventes des domaines : un utilitaire avec 23 000 km sans rouille, roulant, à jour de son contrôle technique) Les constructeurs automobiles s'engagent à fournir des pièces détachées pendant 15 ans. C'est bien peu quand on voit le nombre de véhicules de collection qui ont plus de 30 ans et qui rendent toujours de bons et loyaux services.
Cordialement,
4 De gahlad - 10/05/2013, 19:29
Le soucis que l article révèle et sur des pièces mécanique, hors aujourd'hui le soucis vient de l'électronique.
j ai été vendeur en informatique pendant 15 ans et aujourd'hui au sav d une enseigne national.
l'électronique na pas de durée de vie réel cela peut aller de 1 jours a 10 ans je suis d'accord avec vous. Mais se que j'ai pu remarquer et constaté c'est la qualité de fabrication qui a baisser de beaucoup et ceci joue énormément sur ka durée de vie d'un produit. Le reportage que Arte avait fait et un exemple concret que nous retrouvons dans toutes les gamme de produit.
mais a decharge au constructeur qui construisent se que réclame les client avoir de grosse tv, des ordinateur, des apn qui font tout comme le haut de gamme pour pas cher ben cela donne se que nous savons des produit mal fini, mal conçu construit par des petits asiatiques dont la durée de vie et plus courte que les semblable plus cher
donc au lieu de dépenser a acheter du premier prix économiser et investiser dans un bon produit qui durera beaucoup plus longtemp
5 De Epson mon amour !!! - 12/05/2013, 14:30
Pour ce qui est de la légende soit disant urbaine de l'imprimante Epson, je peux vous affirmer qu'elle est bien réelle.
Impression d'un doc d'une 60aine de page le jour J-1 impeccable.
Réimpression du même doc le lendemain, impossible, imprimante bloquée et ce malgré toutes les tentatives de reboot et réinitialisations possibles et imaginables.
Jour J+1, après le passage d'un petit soft bien utile qui remet les compteurs à 0, et bien cette imprimante se porte comme un charme :)
6 De good_boy - 14/05/2013, 16:19
Long time no see...
Tiens, j'ai un exemple d'obsolescence programmée.
Pas obtenue, mais prévue.
Un lave linge de marque de pauvre.
Quarte ans de bons et loyaux services, puis, folies sur les diodes de l'afficheur.
Recherche sur internet, une carte électronique est en cause.
Celle d'alimentation.
Fi donc, je démonte la rétive boîte à mousse, ne manque pas de fustiger les vis à tôle bas de gamme, et la trappe aux bords coupants, pour ouvrir le bidule...
Et découvrir une mécanique superbe, des amortisseurs de vibration richement bichromatés, des épaisseurs de fonderie automobile, des connecteurs pas trop mauvais même si pas étanches. Je déclippe les douze câbles (tous maintenus, par de jolis colliers, sur une machine à moins de 300 euros), extirpe la carte de son boitier, trouve la pièce fautive, commande la nouvelle (2 euros sur un site d'enchère connu, 4 euros avec le port), et ressoude. Enfin ressoude, vite dit, c'est de la soudure haute température, il faut un fer de combat.
La raison de l'affolement des leds ? la carte fautive était celle de l'alimentation des circuits de commande. Fournissant du 12 volts. Le condensateur de lissage était en 7 volts. Forcément, la documentation sur internet était riche, puisque tous les électrochimiques claquent à peu près à la même échéance (puis que comme c'est de l'alim, ça marche tout le temps dès que la machine est branchée sur secteur).
C'est pas plus cher de mettre un 12v.
Y zont fait exprès.
Le chassis de la dite laveuse étant commun avec des machines plus chères qu'elles sont mieux, je présume que la segmentation en gamme doit se faire là dessus. En tout cas mécaniquement intérieurement, mon premier prix c'est du splendide.
Je suis tout à fait d'accord sur la durabilité, particulièrement en milieu auto, où les gens qui achètent en neuf ne gardent pas forcément les véhicules jusqu'à rentrer dans la zone de probabilité ou yatoukipète (sauf les acheteurs de Range Rover, où là ça commence à 0 km). C'est qu'un bout eud'l'équation.
Mais ça existe. Dans les cartouches d'imprimantes.
Mais dans le cas d'un objet de consommation valorisante (au hasard un téléphone), prévoir une batterie remplaçable serait sans doute idiot : les acheteurs centre de cible changent souvent de terminal, faire une trappe et une batterie enveloppée c'est rajouter du poids et de l'épaisseur et ça grève l'attrait du produit. C'est pas de l'obsolescence programmée, c'est un choix de conception.
7 De Eric C. - 15/05/2013, 14:22
Ils ont fait exprès un arbitrage différent. Mais dire que "tous les électrochimiques claquent à peu près à la même échéance", même si toutes mes sources de durabilité parlent plutôt de méca ou d'électronique, c'est qqchose qui me semble peu probable ...
8 De good_boy - 16/05/2013, 09:46
Bah en fait je pense, là comme ça, que quand tu filtres du 12v avec un truc qui encaisse 7, c'est pas dans la zone "de fatigue" borderline où les écarts statistiques font de la dispersion.
Tu es dans la zone "il va en prendre plein la quiche 100 fois par seconde" et en 4 ans il a rendu son billet, je présume. Il faut voire aussi ce que je met dans le "tous" de "tous les électrochimiques", mais la littérature nainternettienne est assez volumineuse sur ce sujet pour me mettre la puce à l'oreille sur un tas de cas bien significatif.
Les condensateur de piètre qualité étaient un fléau sur les cartes mères des nordinateurs il y a une dizaine d'années, ils gonflaient au bout de peu de temps aussi (deux trois ans). Mais là c'est plus un choix d'achat pas cher sur un produit qui a un gros taux de renouvellement.
Je dois dire que j'ai peine à trouver un exemple mécanique similaire (influence du comportement de l'utilisateur négligeable, puisque carte d'alime en service dès que c'est branché). Je n'ai point d'exemple d'application mécanique permanente avec un cas flagrant d'obsolescence programmée. Et c'est tant plus facile eud' eul' faire avec des semiconducteurs ou du joliciel.