Ce billet fait partie d'une série consacrée au rôle de la sous-traitance dans l'industrie automobile, vu depuis ma lorgnette :

  1. le secteur automobile
  2. la population des "ingénieurs calcul"
  3. le statut de prestataire
  4. les besoins de flexibilité
  5. les modes de fonctionnement


6. L'externalisation dans les LCC

On a vu, notamment dans le 4ème opus, que l'industrie automobile s'est massivement tournée vers les sociétés de services pour satisfaire son besoin de flexibilité. Le secteur automobile connait une activité cyclique, ce qui impacte les besoins en main d'oeuvre des constructeurs. Même si la durée de conception d'un véhicule tend (officiellement) à diminuer, et si l'étalement de la gamme permet de lisser les baisses de charge, la flexibilité demeure néanmoins un avantage majeur du recours à la prestation.
Avantage qui s'accompagne malheureusement de sa contrepartie duale : le coût. On a vu que la facturation d'un prestataire revient, à production supposée identique, plus cher que celle d'un salarié traditionnel (sous-entendu ... lorsque les deux sont issus d'un même pays).
Comment faire pour combiner flexibilité et restrictions budgétaires ? En faisant appel à des sociétés de prestation étrangères, situées dans ce qu'on appelle les LCC, pour Low Cost Countries (pays à bas coût), acronyme hypocritement repris par certains pour préferer le vocable plus économiquement correct de Leader Competitive Countries (pays concurrentiels leaders).
République Tchèque, Roumanie, Inde, Chine, Corée (du Sud !) sont autant de viviers d'ingénieurs et techniciens dont le ratio productivité/prix est plus intéressant que celui de leurs homologues français, allemands, japonais ou nord-américains. Le secteur informatique a également connu cette même mutation, avec un temps d'avance sur l'automobile ...

L'externalisation (de projets complets ou seulement d'études ponctuelles) nécessite cependant un changement radical des méthodes de fonctionnement. Les sociétés qui privilégiaient auparavant le travail en régie profitaient de la réactivité des prestataires sur site et d'une coopération très interactive, ce qui s'accompagnait en revanche d'une tradition plus orale qu'écrite, et d'une capitalisation (mot pourtant ô combien à la mode) très insuffisante des connaissances et des données acquises. Néanmoins, le savoir restait, bon an mal an, "en interne".

Externaliser, c'est s'obliger à formaliser ses méthodes de travail. Les procédures doivent être écrites, décrites même, les résultats attendus clairement explicités. Un prestataire sur site connait les méthodes de travail de son client. Un ingénieur situé à 10000 kms et venant d'être embauché ne connait rien de son interlocuteur, de ses habitudes, de ses attendus.

Externaliser, c'est se priver de l'interaction entre les prestataires et les autres salariés de l'entreprise. Quand mon client me demande d'améliorer la raideur des fixations du système d'essuie-vitre, je sais qui consulter pour savoir si la solution que j'envisage ne pose pas de problème d'implantation, à qui demander si ce sera soudable, si ça pose des problèmes en assemblage, ou en anti-corrosion, etc ... Un "externe" ne bénéficie pas de cette facilité là.

Externaliser, c'est accepter de perdre la maitrise des compétences techniques. La formation de prestataires sur site se fait sur le tas, au contact des "anciens" (ceux qui ont plus de deux ans d'expérience, pour être parfaitement clair). Quid de la formation des prestataires externes ? Comment imaginer qu'ils pourront profiter de la culture métier de leur client ? Qu'en sera-t-il du client lui-même, dont les donneurs d'ordre, réduits à un rôle d'interface avec les sociétés externes, verront leurs connaissances techniques se diluer avec le temps ?

Externaliser à l'étranger, c'est superposer les différences culturelles aux difficultés déjà exposées. En dépit des incitations à l'amélioration du niveau de ses collaborateurs en langues étrangères, il est inutile de dire que l'utilisation d'une langue non-natale ne se fait pas sans l'introduction d'une certaine lenteur et surtout d'un manque certain de précision dans la transmission d'informations. Certes, ça n'ira qu'en s'arrangeant, mais ...



Pour externaliser à l'étranger et profiter pleinement d'une collaboration avec les LCC, il est donc nécessaire de préparer soigneusement la transition, en anticipant toutes les difficultés, sources de bien des déconvenues. Bien que ces précautions semblent relever du bon sens le plus enfantin, quantité d'entreprises ont pourtant découvert sur le tard que le recours aux LCC est tout sauf un long fleuve tranquille. Parce que le personnel sur place n'est pas formé de la même manière, ne possède pas la même culture professionnelle, n'est pas impliqué au même niveau dans la réussite de son client, et parce que le client en question a négligé l'importance de la transmission des savoirs. Olivier Bouba-Olga présente sur son blog quelques données chiffrant les conséquences de la délocalisation sur la qualité, ainsi que sur les coûts cachés liés. Les conclusions qu'on peut en tirer sont en tout point conformes à ce que je peux constater au quotidien ...